JOURNALISTE FREELANCE.BE Le site des journalistes indépendants

Des frites belges à la sauce catalane

12 juillet 2021
par  Marie Honnay
( Presse écrite , Tout... sauf le virus ! )

Noé Moulin est belge. Corinna Raschick, sa femme, allemande. C’est en duo que le couple installé à Barcelone a créé Terra Social Food, un concept de livraison de plats à domicile qui entend valoriser les circuits-courts et le zéro-déchet tout en offrant des repas aux sans-abris.

Ce projet est né à Barcelone. Pourquoi cette ville ?

Noé Moulin : « Je suis venu à Barcelone il y a 15 ans après mes études à l’Université de Mons dans le cadre d’un Master. Je ne suis jamais reparti. L’ami qui m’accompagnait non plus. Ma femme Corinna est arrivée d’Allemagne il y a 10 ans. »

Vous aviez l’un et l’autre une première expérience dans la restauration ?

« J’ai personnellement travaillé de nombreuses années comme journaliste gastronomique en Catalogne. Quand elle était plus jeune, Corinna a officié dans les cuisines de nombreux camp de vacances pour enfants défavorisés. Nous sommes tous les deux fous de cuisine. »

PNG - 660.2 ko
© Terra Social Food

Comment est née l’idée de ce food delivery ?

« Nous voulions avant tout solutionner différentes problématiques indissociables l’une de l’autre : le gaspillage alimentaire (plus de 30% des aliments terminent à la poubelle), l’utilisation intensive de plastique dans le secteur de la restauration, une carence de produits locaux dans l’assiette des clients. Et puis, la dernière, le socle de notre projet : de plus en plus de personnes n’ont pas accès à une alimentation saine au quotidien. On a d’abord pensé à un food truck avant d’opter pour un service de livraison à domicile, plus facile à gérer dans un premier temps. »

Ce concept existe-t-il déjà en Espagne et à Barcelone ?

« Absolument pas ; de nombreux restaurants offrent leurs excédents alimentaires à des associations qui nourrisssent les personnes en situation de précarité, mais un food delivery sans but lucratif qui produit des menus gastronomiques spécialement destinés aux sans-abris, ça n’existait pas. »

Vous êtes-vous inspirés d’autres projets ailleurs dans le monde ?

« Un chef comme Thierry Marx nous a beaucoup inspirés. Le chef français offre des formations à des centaines de jeunes délinquants dans une démarche de réinsertion. Le chef italien étoilé Massimo Bottura, a quant à lui créé des Refettorios ; des cuisines-cantines destinées aux sans-abris où les plus grands chefs du monde transforment des excédents alimentaires en délicieux menus solidaires ; une idée qui nous a beaucoup émus. Nous sommes également très inspirés par les saisons, les agriculteurs avec lesquels nous allons travailler, ainsi que par des personnalités comme Greta Thunberg, Coluche ou l’Abbé Pierre. »

PNG - 1.3 Mo
© Terra Social Food

Retrouve-t-on certaines touches belges dans votre cuisine ?

« Complètement ! Notre premier menu tourne autour de la pomme de terre. Nous aurons donc des frites bio, d’abord cuites à la vapeur et ensuite passées deux fois dans l’huile ; de délicieux toppings et des sauces maison. On a aussi créé des croquettes de stoemp, un plat qui va télé-transporter les Barcelonais dans la gastronomie belge classique. La France sera également au menu avec des parmentiers originaux et des salades. L’Italie avec des gnocchis maison, des tiramisus, etc. On ne veut pas se limiter à une culture, mais plutôt décliner la pomme de terre pour en faire de délicieuses créations inspirées par la tradition de chaque pays et les produits de saison. »

Comment intégrer la notion de plaisir dans un concept de plats en livraison ?

« En commandant un plat chez nous, chaque client contribue à soutenir une jolie cause. C’est déjà une occasion de se réjouir, non ? Ensuite, nous nous assurerons que les plats arrivent en parfait état chez nos clients et nous varions les menus régulièrement, en fonction des saisons. »

Vous utilisez des contenants écologiques. Le principe même de la livraison n’implique-t-elle pas beaucoup trop d’emballage ?

« C’est un fait, mais ce qui nous fâche vraiment c’est lorsque l’on reçoit trois sushis dans une grande boite en plastique ou une banane cultivée à l’autre bout du monde et emballée individuellement, sous blister. Chez nous, 90% des contenants sont fabriqués à partir de matières recyclées ou compostables. Pour le reste, il s’agit de verre et d’un tout petit peu de plastique pour certains couvercles. »

Comment avez-vous choisi les producteurs avec qui vous travaillez ?

« Chaque producteur a été sélectionné avec soin. Notre boucher a par exemple reçu le label « bien-être animal ». Pour les fruits et les légumes, il s’agit d’agriculteurs catalans que nous avons rencontrés sur différents marchés. Enfin, nous achetons certains produits à l’étranger, mais on parle ici de quelques grammes de poivre en provenance d’Asie ; pas de kilos de pommes de terre cultivées à l’autre bout de la planète. L’empreinte carbone n’est pas la même. »

JPEG - 91.9 ko
© Terra Social Food

D’où viennent les excédents alimentaires que vous utilisez ?

« On achètera les invendus de nos producteurs à prix réduit. Certains agriculteurs nous ont promis de nous donner des excédents ou des produits non calibrés dont la grande distribution ne veut pas. Si on veut éviter ainsi que des produits terminent à la poubelle, il est crucial de créer des liens solides avec les agriculteurs. »

Comment comptez-vous financer ce ratio d’un repas offert aux sans-abris pour 5 livrés à des clients classiques ?

« C’est tout à fait réalisable sans que cela se répercute sur le prix payé par le client. Il faut contrôler les coûts des matières premières et se débrouiller pour trouver le meilleur produit au meilleur prix. En faisant des plats 100% maison, on fait aussi pas mal d’économies et c’est vraiment meilleur. »

La crise du Covid a-t-elle joué un rôle dans la création de votre projet ?

« Le projet était déjà en construction avant la pandémie. Depuis, à Barcelone, 1000 personnes qui ont tout perdu suite à la pandémie sont à la rue : 25% de plus qu’avant l’arrivée du virus. Personnellement, j’ai été malade en mars 2020. J’ai perdu le goût et l’odorat pendant plus de 8 mois. Une période très difficile et une remise en question complète. C’était très dur de ne plus pouvoir cuisiner ! On a donc mis le projet en pause, et on l’a réactivé lorsque mes sens sont revenus. Je suis maintenant guéri et on est prêts à allumer les fourneaux ! »

Suivez le développement de TERRA SOCIAL FOOD sur terrasocialfood.coop et sur Instagram @terra.social.food

Partager :