Des arbres fruitiers en ville
Une pépinière citoyenne veut reverduriser Bruxelles avec des arbres fruitiers en misant sur l’action collective.
En plein cœur du parc de Wolvendael à Uccle, se cache une pépinière pas comme les autres. Depuis 2019, cet ancien terrain d’athlétisme a été réhabilité en espace vert de six ares par la commune et un groupe de citoyens. En dépit des jeunes pommiers, poiriers, cassis ou framboisiers, le lieu n’est effectivement pas une pépinière classique : « Nous ne vendons rien aux particuliers », lance Pierre Lacroix, du Centre d’écologie urbaine, une Asbl promouvant l’écologie en ville qui coordonne le projet Pépinière citoyenne. Les grandes bottes dans la boue des giboulées de… mai, le jeune homme taille de robustes pieds d’arbres tout juste greffés. « Tous les arbres et arbustes fruitiers que vous voyez ici ont pour vocation d’être replantés dans l’espace public urbain. »
Devant la barrière séparant le parc de la pépinière, Nina Vankerckhove, qui travaille avec Pierre au sein de l’Asbl, fait rentrer quelques curieux pour leur expliquer le projet : « Tout le monde peut entrer et même participer : ce projet est bénévole et co-construit de manière participative dès ses prémices. L’idée n’est pas d’imposer des arbres n’importe comment en ville mais d’aider la nature à Bruxelles, en améliorant la biodiversité urbaine, en plantant des espèces d’arbres, d’arbustes et d’espèces herbacées indigènes et mellifères… Ensemble. »
Dans les rangées, Patrick et Guy, deux bénévoles dès l’origine, s’activent à remuer les copeaux de la rangée cultivée en permaculture. « Depuis le temps, je sais ce que j’ai à faire ! », sourit Patrick qui fait partie du groupe-porteur ici à Uccle. Il a appris, grâce aux ateliers ouverts au public les mardis, à greffer et tailler un arbre fruitier en fonction des saisons.
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- © Centre d’écologie urbaine
Des communes intéressées
L’histoire de Pépinière citoyenne commence avant la construction de cet espace vert à Uccle. Depuis 2017, de nombreux ateliers pratiques ont été organisés avec les citoyens : « L’occasion de réaliser ensemble des plantations mais aussi de former », explique Pierre qui rappelle l’importance de l’essaimage du savoir. « Nous avons planté une trentaine d’arbres, autant d’arbustes, mais aussi une centaine de plantes vivaces, dans les écoles, les jardins privés et en rue ces dernières années. »
Des chiffres conséquents lorsque l’on rappelle que le cycle de l’arbre est lent : « Pour produire un pommier haute tige, il faut compter six à sept ans avant qu’il ne commence réellement sa production de fruits », explique Nina. « Mais nous misons sur des porte-greffes pour accélérer le processus en greffant des arbres ayant déjà de bonnes racines. Ainsi, nous avons déjà pu sortir des arbres de quatre ans déjà viables. » Avec une seule pépinière, la production est encore à petite échelle vu l’ambition des personnes impliquées. « Si nous pouvons ajouter une pépinière par an dans les quatre prochaines années à Bruxelles et arriver à un réseau de cinq espaces verts qui fonctionnent ensemble pour fournir la capitale en arbre fruitier, notre objectif idéal serait atteint ! »
Conscient de la fragilité du modèle économique du subside annuel, principalement de Bruxelles Environnement, mais aussi de co-financements issus de fondations et des communes motivées, Pierre ajoute : « Il est difficile de se projeter si loin, mais l’activité se soutient elle-même. Si certaines communes ne peuvent pas financer intégralement l’implantation d’une pépinière, le co-financement est une solution ; c’est aussi notre travail d’aider les citoyens qui souhaiteraient s’en inspirer, pour aménager des espaces potagers ou de production de fruits sur leur territoire, à trouver des financements ! » Des communes comme celle de Ganshoren sont vivement intéressées par le projet. Forest, Auderghem, mais aussi Ixelles, pourraient adopter l’idée également.
« A terme, nous espérons certes avoir un impact positif sur la biodiversité, mais aussi donner une impulsion à une communauté autonome en termes de savoirs pour gérer ce patrimoine végétal », ajoute Nina. « Donner les outils concrets aux citoyens pour s’emparer de l’idée et gérer eux-mêmes les arbres qu’ils auront choisi de planter dans l’espace public. Alors, nous pourrons parler de bien commun, dont nous devons tous prendre soin. »
urban-ecology.be/pepiniere-citoyenne
Pourquoi des fruitiers ?
Considérant la technique qu’implique la culture des fruitiers, nous pouvons nous interroger sur l’intérêt de ce type d’arbres en ville. La réponse est évidente pour Pierre : « Face au changement climatique, il est capital de développer des écosystèmes riches, notamment en apportant de la diversité arboricole et de sortir du schéma d’aménagement classique du territoire. Aujourd’hui, les quatre essences historiques d’arbres d’alignement à Bruxelles – le marronnier, l’érable, le tilleul et le platane – sont encore majoritaires, mais la Région planche sur leur diversification. Car le fait de diversifier cette palette végétale en ajoutant notamment des fruitiers adaptés, rend la canopée urbaine résiliente, c’est-à-dire capable de s’adapter à l’évolution du climat – de l’évolution des températures à certaines maladies comme des insectes xylophages qui pourraient toucher une espèce plus qu’une autre. » Puis, l’arbre fruitier est aussi un arbre producteur. « Des études sont en cours au sein du Centre d’écologie urbaine, via le projet Arbres, pour mieux connaître l’impact de la pollution sur les fruits en ville, mais il est certain qu’ils sont moins touchés que les légumes feuilles – comme les épinards, par exemple », explique Nina. « Alors, oui, il y a parfois des inconvénients : des fruits peuvent tomber, de la place est ‘volée’ à la voiture ou cela attire les insectes… Mais nous ne plantons pas n’importe quel arbre n’importe où et puis… quelle drôle de vision de la ville où la nature doit en être bannie. Non ? »