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Dépoussiérer les archives de la Seconde Guerre mondiale

3 novembre 2021
par  Jehanne Bergé
( Presse écrite )

Septante-cinq ans après la fin de guerre, les dossiers des collaborateur·rices belges restent très difficiles à consulter. Alors comme savoir si votre aïeul était nazi ? Tuto investigation.

J’ai rédigé dans le numéro 23 de Médor paru à l’été 2021, une longue enquête sur mon arrière-grand-oncle, Julien Carlier, l’un des premiers et l’un des derniers membres du parti rexiste. Pas un petit collabo, non, mais le Chef de la Propagande Active et l’auteur d’une multitude de chroniques à propos de l’Ordre Nouveau. Condamné à mort par contumace au lendemain de la guerre, il a disparu (ou presque) de la mémoire collective. Mais ça, c’était jusqu’à ce que je vienne m’en mêler… Plonger dans le labyrinthe des archives de la Seconde Guerre mondiale, c’est rentrer dans la complexité politique de l’accès au passé. Et je vous propose de vous y guider.

Découvrir le passé des ancêtres collabos

Ces dernières années, l’histoire sombre de la collaboration belge est remontée à la surface dans l’espace médiatique. Les émissions Kinderen van de collaboratie du côté néerlandophone et Les enfants de la collaboration en version francophone ont connu un franc succès. Cette mise à niveau de notre mémoire commune donne à beaucoup de citoyen·nes l’envie, voire le besoin de comprendre le passé de leur famille. Environ 500 000 Belges auraient un aïeul ayant collaboré avec l’ennemi pendant la Seconde Guerre mondiale. À la fin de la guerre, 0,73 % des néerlandophones et 0,52 % des Belges francophones ont été condamnés pour des faits de collaboration.
Pour quiconque voudrait se lancer dans une enquête, une première étape est de se rendre au CegeSoma, le Centre d’études guerre et société des Archives de l’État, situé au square de l’aviation, près de la gare du midi. La porte y est accessible à tou·tes. Chaque jour, les historien·nes y reçoivent des questions de famille sur leurs aïeul·les poursuivi·es pour collaboration après la libération (et encore plus depuis la diffusion des émissions par la VRT et RTBF). En quelques clics dans la base de données, on peut vite savoir s’il existe des occurrences sous le nom d’un ancêtre recherché. Sur place, on peut également y consulter des ouvrages pour mieux saisir le contexte socio-historique de l’une des pages les plus sombres de l’histoire de notre pays. Mon conseil : avant d’essayer de recréer le puzzle d’un parcours personnel, il est important d’avoir une vision claire de la collaboration belge et de sa répression.

Une demande écrite et motivée

La seconde étape, si vous tenez un fil est d’accéder aux dossiers répressifs qui se trouvent aux AGR-2 depot Joseph Cuvelier, rue du Houblon. Avant tout, il est nécessaire de demander les références du dossier par mail au service d’archives. La suite est plus corsée… En Belgique, nous ne pouvons consulter ces informations que sous sous certaines conditions. À la suite de la loi de 2003 supprimant les juridictions militaires en temps de paix, un arrêté royal a déclaré que la gestion des archives serait confiée au Collège des Procureurs généraux. C’est donc le Collège des Procureurs généraux qui donne ou non son accord pour y accéder. La procédure est d’adresser une demande écrite et motivée. Il faut le dire, les chercheur·ses professionnel·les ont plus de chance de voir leur requête acceptée. Et encore rien n’est moins sûr. « Moi par exemple je n’ai pas eu accès au dossier. C’est du cas par cas. Ce n’est pas normal que l’accès aux sources soit si compliqué. C’est un problème démocratique de camoufler le passé pour des raisons injustifiées », commente Céline Rase, journaliste, historienne et autrice de l’ouvrage « Interférences. Radios, collaborations et répressions en Belgique (1939-1949). » À savoir, les descendant·es peuvent eux aussi (sous certaines conditions toujours) consulter les dossiers répressifs de leurs ancêtres.

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Dépasser les tabous du passé

Depuis des années, des historien·nes belges plaident pour l’ouverture des dossiers, sans l’aval du Collège des procureurs généraux. Une proposition de loi a par ailleurs été déposée en ce sens par le député fédéral André Flahaut (PS). « Cette proposition de loi vise à renforcer l’accessibilité aux archives des anciennes juridictions militaires supprimées afin d’accroître, d’une part, la transparence de l’État, d’autre part, d’amplifier l’efficacité des services des archives générales et pour donner aux citoyens les moyens concrets et tangibles de mieux comprendre l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale et de s’y consacrer sans entrave. Ceci pour lutter contre le négationnisme, le révisionnisme et pour prévenir l’altération de la Mémoire ou son effacement », indique le document publié le 29 juin 2021.
Selon la RTBF, le ministre en charge, Vincent Van Quickenborne dirait exclure l’idée d’ouvrir l’accès aux dossiers à tout un chacun sous prétexte du respect de la vie privée. Rappelons qu’en France, un arrêté de 2015 a ouvert au public les archives de la police et de la justice sous le régime de Vichy. Aux Pays-Bas, les archives de ce type sont également facilement accessibles.

La presse : archives du temps présent

Il n’y a pas que les kilomètres des couloirs des Archives générales du Royaume pour vous mener sur le chemin de la mémoire. Sur le site de la KBR, le portail BelgicaPress donne actuellement accès à 112 journaux belges dits de « grande presse », majoritairement à parution quotidienne (1814-1970). On y retrouve aussi la plupart des journaux parus sous censure allemande durant les deux guerres mondiales, mais aussi la presse collabo, à l’instar du « Pays Réel » le quotidien rexiste. Cet outil de recherche 2.0 est une véritable mine d’or. Plonger dans les coupures des différents journaux pourra probablement vous faire avancer dans votre enquête.
Bien entendu, les généalogistes pourront également vous guider. De même pour les services d’archives communaux. Les actes de naissance de plus de 100 ans, les actes de mariage de 75 ans et les actes de décès de plus de 50 ans y sont consultables.
Pour aller plus loin, je vous invite à lire l’ouvrage Papy était-il un nazy ?, rédigé par des historien·nes des Archives de l’Etat. Cet excellent guide de recherche liste les différents endroits où trouver des sources en fonction des problématiques.
Armez-vous de patience, de rigueur et de courage, et bienvenue dans le labyrinthe de la mémoire.

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