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Demain, l’extrême-droite au pouvoir ?

29 septembre 2021
par  Gregoire Comhaire
( Demain, après le virus... )

Les élections régionales françaises n’ont pas offert les résultats escomptés à Marine Le Pen. Pourtant elle rêve toujours d’accéder à l’Elysée l’an prochain. En Belgique comme partout en Europe, l’extrême-droite a le vent en poupe. La crise du Covid va-t-elle servir d’accélérateur ?

Une répétition générale. C’est ainsi que certains médias français ont qualifié le scrutin à deux tours, qui s’est déroulé en juin dernier, pour renouveler les 17 conseils régionaux du pays. Un parti présidentiel en quête d’ancrage local, une gauche et une droite qui cherchent à rebondir ou à se maintenir, une extrême-droite en embuscade… Tous les ingrédients étaient là pour exciter les passions et engager les pronostics en vue du grand soir l’an prochain.

Car si cette élection aux enjeux purement locaux a focalisé l’attention médiatique, c’est parce qu’elle s’est déroulée dix mois avant l’élection présidentielle d’avril 2022. Le président sortant Emmanuel Macron devrait briguer un nouveau mandat. La présidente du Rassemblement National (ex-Front National) Marine Le Pen espère bien, de son côté, remporter une victoire historique pour son mouvement. Elle pourrait bien y parvenir, si l’on en croit les sondages et les intentions de votes.

En 2017 déjà Marine le Pen avait accédé au second tour de la présidentielle. Son père Jean-Marie, avait lui-aussi créé la surprise en s’invitant – quinze ans en plus tôt - au second tour de l’élection face à Jacques Chirac. Mais l’un et l’autre ont ensuite été battus à plate couture par leur adversaire. Ce que l’on nomme le « front républicain » en France – une sorte d’élan national visant à faire barrage à l’extrême-droite - a permis, à chaque fois, une mobilisation massive des électeurs de gauche et de droite pour permettre l’élection du candidat d’en face. Mais ce front républicain a-t-il encore un sens en 2021 ?

Contexte

Depuis la dernière élection présidentielle française, le monde a connu d’importants bouleversements. Des leaders populistes comme Jaïr Bolsonaro ou Donald Trump ont marqué les espris partout sur la planète et dessiné une autre manière de gouverner, en jouant sur la défiance qu’une partie de la population nourrit envers ce qu’elle nomme « les élites traditionnelles ». Des mouvements de contestation populaires ont émergé dans le même esprit. Fin 2018, des milliers de « gilets jaunes » ont manifesté dans toute la France. Mobilisés, à l’origine, contre l’augmentation du prix de l’essence, certaines de ces manifestations ont pris un tour quasi-insurrectionnel à certains endroit.

Et puis il y a la pandémie, qui a considérablement bouleversé la société, en un an et demi, et qui a laissé exsangue beaucoup de membres des classes moyennes et populaires. Ce contexte instable pourrait-il favoriser une victoire de l’extrême-droite en France, puis, plus tard, ailleurs en Europe ? « Il y a trois éléments contextuels qui pourraient bénéficier à l’extrême-droite » estime Pascal Delwit, professeur de sciences politiques à l’ULB. « Le contexte anxiogène d’abord qui profite généralement davantage aux forces centrifuges que centripètes. Il y a ensuite une sorte d’exacerbation politique autour du concept de l’identité française. » Une exacerbation entretenue notamment par des médias comme CNews, qui surfent en permanence sur ces thématiques et sur celles de la sécurité, chères – elles aussi – aux partis d’extrême-droite.

Il y a, enfin, la situation socio-économique du pays avec un accroissement des inégalités, et des difficultés croissantes pour la classe moyenne, notamment lorsqu’on parle d’accès au logement ou de pouvoir d’achat. « Les trois derniers mandats présidentiels (celui de Nicolas Sarkozy, celui de François Hollande et celui d’Emmanuel Macron NDLR) n’ont pas permis d’inverser la tendance » poursuit Pascal Delwit. « On peut même dire qu’aucun des trois mandats ne se distingue vraiment par une mesure sociale forte ». De plus en plus de français se sentent délaissés par le monde politique, et exclus de la mondialisation. Ces citoyens – autrefois électeurs de gauche – se tournent désormais volontiers vers les extrêmes : la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon ou le Rassemblement national de Marine Le Pen. La question sociale est au cœur de la stratégie de l’extrême-droite depuis plusieurs années maintenant.

Mondialisation

Créé en 1972 par Jean-Marie Le Pen, le Front National a obtenu ses premiers élus au parlement européen en 1984. Historiquement, le parti est très implanté dans le sud-est de la France, à la Côte d’Azur, où il est plébiscité par un électorat de droite traditionnel qui s’est radicalisé. Son expansion dans le nord, et le nord-est du pays, auprès d’anciens électeurs de gauche est plus récente. « Dans ces régions, on a vu de grandes entreprises étrangères fermer leurs portes et laisser des milliers de travailleurs sur le carreau alors qu’elles avaient empoché des aides importantes de l’Etat » explique Jean-Yves Camus, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de l’extrême-droite. « Les électeurs d’extrême-droite sont convaincus qu’enlever un emploi d’immigré, cela crée automatiquement un emploi pour un Français ».

La gauche n’est pas parvenue à apporter une réponse à ces problèmes économiques et sociaux. « Le parti socialiste français s’est rallié à une sorte de libéralisme soft » ajoute ainsi Jean-Yves Camus. Et à cela s’ajoute un délitement du lien social dans ces régions sinistrées économiquement. Un lien social, comblé autrefois par des organisations liées au parti communiste ou aux organisations syndicales « Le cas de la commune de Hénin Beaumont est très emblématique de ce phénomène » explique Pascal Delwit. « La parti communiste y était autrefois très présent. Aujourd’hui, c’est le Rassemblement national qui comble le vide. » Depuis, Henin-Beaumont est devenu le laboratoire de l’extrême-droite de Marine Le Pen. Une commune tremplin pour la diffusion de son programme, et de ses idées dans toute la région des Hauts-de-France.

En Belgique aussi

Chez nous aussi, l’extrême-droite a le vent en poupe. En Flandre, le Vlaams Belang caracole en tête des intentions de vote. Le dernier grand baromètre Ipsos RTL Le Soir réalisé en juin lui confère même une majorité absolue en nombre de sièges avec la N-VA au parlement flamand. De quoi susciter des craintes pour les élections législatives et régionales de 2024.

En Wallonie par contre, l’extrême-droite reste curieusement absente du paysage politique. Les différentes tentatives d’occupation de cet espace, sur l’échiquier politique, ces dernières années, se sont systématiquement soldées par un échec. « Il y a deux raisons à cela » estime Pascal Delwit. « Contrairement à la Flandre, où on a assisté à l’effondrement du monde social-chrétien ces dernières années, il y a encore un tissu social important en Wallonie ». Un tissu social structuré autour des piliers traditionnels. Mais la raison principale résiderait dans l’absence de sentiment identitaire fort, en Belgique francophone. Contrairement à la France, ou à la Flandre, il n’existe pas chez nous d’exacerbation de sentiment identitaire face à une immigration perçue comme une menace.

Dans un contexte de montée en puissance de l’extrême-droite partout en Europe, il serait erroné de voir la Belgique francophone comme une exception. Nous ne sommes qu’une partie de pays épargnée par le phénomène. D’autres parties de pays, ailleurs en Europe, connaissent également une absence de vote d’extrême-droite : c’est par exemple le cas de la Catalogne, en Espagne, alors que le parti d’extrême-droite « Vox » est en pleine ascension dans d’autres régions du pays. D’autres pays d’Europe, comme l’Irlande, ne connaissent pas non plus d’ascension de parti d’extrême-droite.

Une victoire de Marine Le Pen, en mai 2022, reste pour l’instant de l’ordre de la simple hypothèse. Pour qu’elle accède au pouvoir, il faudrait une conjonction d’évènements, et de conditions, qui semblent encore improbable à l’heure d’écrire ces lignes. La première, ce serait l’effondrement de la cote de popularité du président Macron. La seconde, serait que les électeurs de droite traditionnels se tournent massivement vers elle. La troisième, serait le non-fonctionnement du front républicain. « Si deux de ces trois conditions sont réunies en mai 2022, Marine Le Pen peut remporter l’élection présidentielle » estime Jean-Yves Camus. Mais à l’heure actuelle, la cote d’Emmanuel Macron ne s’est pas effondrée, et le résultat du RN aux élections régionales de juin a été bien en deçà de qu’il espérait.

Le scrutin présidentiel est dans un an. Beaucoup de choses peuvent encore se produire d’ici là. Et malgré de grands progrès dans la campagne de vaccination, la pandémie est encore loin d’être finie.

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