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Dans les McDo comme au Kremlin, la Russie attend Biden au tournant

25 janvier 2021
par  Benjamin Quenelle
( Presse écrite , Tout... sauf le virus ! )

Tout en contradictions, les Russes passent dans la douleur la page Trump. Ils entretiennent une relation « haine-amour » pour leurs vieux ennemis américains, entre envies culturelles et confrontations politiques.

La nouvelle est passée presqu’inaperçue en Russie. Sauf à Vladivostok. Le 21 décembre, McDonald’s a ouvert ses trois premiers restaurants dans la bouillonnante capitale de l’Extrême-Orient russe. La chaine, fer de lance de la gastronomie américaine dans l’ex empire soviétique depuis son inauguration place Pouchkine à Moscou avant même la chute de l’URSS, prévoit d’investir plus de 20 millions d’euros dans les régions Est du pays. Avec près de 800 restaurants au total, elle a déjà bien couvert toute la partie Ouest. Face à la poussée de Burger King, McDonald’s multiplie les formats pour les fans pressés de burger-frites-coca. « On est comme ça, nous les Russes, pleins de contradictions : on aime affronter et détester les Américains que pourtant on admire et envie ! », sourit Nikolaï, jeune père de famille rencontré à la sortie d’une virée MacDo avec ses fils à Moscou. Politiquement, il se dit patriote et supporteur du président Vladimir Poutine. Mais il se gave de nourritures et séries télé made-in-USA…

Telle est la Russie qui, au-delà des déclarations et bravades du chef du Kremlin, attend Joe Biden au tournant. En 2016, Vladimir Poutine avait mis quelques heures seulement pour féliciter Donald Trump, cet « homme brillant et plein de talent ». Quatre ans plus tôt, il avait au contraire attendu vingt-quatre heures avant d’acter la réélection de Barack Obama. Cette année, il a fallu près d’un mois et demi pour qu’il reconnaisse la victoire du nouveau président. « Je suis prêt à une collaboration et à des contacts avec vous », a-t-il écrit mardi 15 décembre dans un télégramme à Joe Biden. Avec un enthousiasme donc très limité… Deux jours plus tard, lors de sa traditionnelle conférence de presse de fin d’année, verbe vif et œil pétillant malgré des signes de lassitude après plus de vingt ans au pouvoir, Vladimir Poutine a multiplié les piques contre l’ouest en épargnant son « ami » Donald Trump. « Près de 50% de la population des Etats-Unis a voté pour lui. D’après ce que je comprends, il ne quitte pas la politique », a-t-il souri, dans une petite phrase lourde de sous-entendus. Il a cité le nom de l’ancien président mais pas celui de son successeur avec qui, devant les journalistes, il s’est juste dit prêt à travailler « sur les problèmes actuels ».

« Biden ou Trump, peu importe au final. A Washington, le système anti-russe finit toujours par l’emporter… », confie une source bien connectée au Kremlin, rejetant avec mépris les soupçons occidentaux sur les collusions entre Trump et Poutine. Si les quatre dernières années n’ont pas apporté d’apaisement dans les relations Moscou-Washington et, au contraire, ont vu une accélération des sanctions américaines contre la Russie, le Kremlin ne cache pas sa satisfaction d’avoir semé la zizanie à l’ouest : tout ce qui affaiblit l’occident est bon en interne pour la Russie. Les Russes ont beau être des amateurs de burgers et cultes américains, les gesticulations anti-US permettent toujours d’unifier le pays face au vieil ennemi – et de faire oublier divisions et difficultés nationales… Alors que les méfaits économiques de la pandémie du covid ont aggravé les tensions sociales et renforcé le mécontentement politique, les télévisions pro-Kremlin critiquent sans cesse ces dernières semaines Joe Biden. Elles publient des informations sur la prétendue sénilité du nouveau président. Vladimir Poutine, lui, joue les sceptiques. « Concernant la question du changement à la tête des Etats-Unis et que ça puisse devenir plus difficile pour nous, je ne le crois pas, je crois que ce sera comme à l’accoutumée », a-t-il déclaré, blasé et confiant. Il appelé à développer les capacités économiques et militaires du pays pour faire face « aux difficultés et aux menaces ».

Au ministère des affaires étrangères russe, les débats se multiplient pourtant en interne. Ceux qui suivent les sujets militaires savent qu’il y a un espoir de dialogue avec Joe Biden, opposé à la fin décidée par Donald Trump des grands accords datant de la guerre froide. Mais ceux qui suivent le Moyen Orient ou l’Ukraine redoutent que le ton anti russe monte d’un cran. D’autant plus que Moscou est persuadé que Washington dicte sa politique à Bruxelles. Télévisions et diplomates ne cessent de dénoncer la « russophobie » de la nouvelle administration, présentée en simple et veule héritière de celle de Barack Obama. « Nous n’attendons rien de bon » de Joe Biden, a déjà lâché Sergueï Riabkov l’un des vice ministres des affaires étrangères. Le ton est donné.

La photo et la vidéo ont fait le tour du web russe. Tiré des archives soviétiques, le cliché en noir et blanc a été repris notamment par Meduza, le portail d’informations installé à Riga. Avec un titre tout en ironie : « Aujourd’hui, au Kremlin, Andreï Gromiko a reçu le célèbre sénateur américain Joe Biden ». Cela date de… 1988. Une plongée dans la page Andreï Gromiko, alors chef du Présidium suprême de l’URSS quelques mois avant de céder le poste à Mikhaïl Gorbatchev. Ce jour-là, il recevait son hôte américain, alors membre de la commission des relations extérieures du Sénat, devenu en 2020 président à 77 ans. C’est en fait la télévision au service du Kremlin qui a ressorti ces vieilles images du jeune sénateur américain rendant visite au vétéran de la diplomatie soviétique. Une manière d’ironiser sur la prétendue sénilité de Joe Biden…

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