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Covid : les bourgmestres en première ligne

3 novembre 2021
par  Jean-Michel Bodelet

Dans les communes rurales, la majorité de la population connait personnellement son bourgmestre. Son numéro de GSM est lui aussi encodé dans de nombreux smartphones et il n’est pas rare que le Premier magistrat d’une commune de ce type se fasse réveiller pour des problèmes qui, en règle générale, pouvaient attendre le lendemain.

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Cérémonie patriotique à huis clos, le 8 mai 2020. Un bourgmestre en première ligne, comme tout au long de cette crise.
© DR

Ces bourgmestres sont sollicités à tout moment : en allant chercher son journal, un mayeur peut être interpellé au sujet de l’état des routes. Au resto, même en famille, il est apostrophé parce qu’un avaloir est bouché. Dans la rue, cela peut être des félicitations pour la finalisation de tel ou tel dossier. Ces bourgmestres savent que cela fait partie du « job. » Un job d’ailleurs qu’ils partagent le plus souvent avec un autre : on est rarement bourgmestre à temps plein dans une « petite » commune rurale. Lorsqu’en mars 2020, le Conseil National de Sécurité impose le confinement, ces mayeurs entrent dans une nouvelle dimension, dans de l’inédit où aucun de leurs pairs ne peut les conseiller : « Une fois la conférence de presse terminée, les appels sur mon GSM se sont succédés, tout comme les mails. Les citoyens voulaient savoir, comprendre »explique ce bourgmestre du nord de la province de Luxembourg. Un de ses collègues, regardant dans le rétro, abonde : « Cela a été chaque fois la même chose. Après chaque conseil de sécurité, les questions pleuvaient. Des questions souvent très spécifiques. En fait, la population pensait que nous savions ce qui allait être décidé lors de ces réunions. Or, nous apprenions cela en même temps que tout le monde. » Les arrêtés, eux, arrivant parfois des jours plus tard. Les services du Gouverneur de la province, eux, actualisant régulièrement une foire aux questions, devenue pour certains bourgmestres et le personnel de leur administration, un véritable bréviaire.

Dénonciations

Un bréviaire qui n’empêchera pas d’avoir des informations qui ne sont pas concordantes suivant tel ou tel niveau de pourvoir. Une constante soulignée par ces hommes et des femmes en première ligne. Rapidement, en fonction des interdictions décrétées, un phénomène de dénonciations va voir le jour, phénomène propre aux situations et périodes de crise, où parfois la peur –légitime- prend le dessus : « Je me souviens de plusieurs coups de téléphone d’habitants de la commune. Dans leur collimateur, je garde en mémoire la problématique des seconds-résidents qui malgré l’interdiction, revenaient dans leur habitation. On me disait qu’il fallait envoyer la police, que les voitures étaient garées derrière le bâtiment, que les volets ou les rideaux étaient fermés mais qu’il y avait quelqu’un »souligne ce bourgmestre. La vie institutionnelle se devait de continuer. Très vite, il a été possible d’organiser des conseils communaux de façon virtuelle. « Organiser, » le terme est faible car rien n’a été facile dans ce cadre : « Il a fallu se familiariser avec certains programmes, se rendre compte que nous étions filmés pendant toute la séance…A cela s’ajoutaient les problèmes liés à la connectivité. Dans nos régions, le problème des zones blanches est une réalité. On ne comptait plus les coupures, voire même les impossibilités de rejoindre la réunion virtuelle. » Une fois la réunion terminée, l’ordinateur fermé, impossible de débriefer la séance, par exemple, autour d’un verre « Cela permet souvent, dans un groupe, d’apaiser certaines tensions, d’arrondir les angles, de relativiser certaines prises de parole. Il est vrai que cela manquait et que parfois, des frustrations restaient chez l’un ou l’autre membre du groupe. Cela n’était pas facile à gérer. » Ces frustrations, elles ont été matérialisées par des démissions en cascade au sein des conseils communaux et de CPAS. Derrière le pudique « raisons professionnelles et familiales » se cachaient souvent des incompréhensions, voire un certain ras-le-bol.

Pas de festivités

Avec une vie au ralenti, les élus et les bourgmestres en particulier étaient privés de ces rencontres qui font vivre la vie d’une commune. Le secteur culturel mais également sportif étaient à l’arrêt. Certains « beaux » projets communaux, eux aussi, subissaient un ralentissement voire une interruption. « Rencontrer nos concitoyens dans un cadre plus festif, plus détendu, cela a manqué évidemment. Cela fait partie de la vie d’un bourgmestre. En fait, pendant ces moments de confinement, nous avions l’impression de n’avoir que les mauvais côtés, de ne vivre que ce qui allait mal »explique encore cet élu. De cette expérience, bien que cette pandémie ne soit pas encore finie, certains garderont le sentiment d’avoir été un peu seuls, parfois abandonnés par les autorités supérieures, ces dernières décidant l’application des différentes mesures revenant aux communes. Ces bourgmestres, parfois touchés dans leur chair par la maladie, touchés par le départ de proches, font partie de ce panel de citoyens qui ont eu un rôle à jouer dans cette crise majeure du début du XXIème siècle. Cela restera, pour eux, une expérience que tous souhaitent exceptionnelle.

Légende photo : Cérémonie patriotique à huis clos, le 8 mai 2020. Un bourgmestre en première ligne, comme tout au long de cette crise.

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