JOURNALISTE FREELANCE.BE Le site des journalistes indépendants

Covid-19 et couples transfrontaliers : toute une odyssée pour se retrouver en Belgique

10 mai 2021
par  Matthias Bertrand
( Presse écrite , Le virus de la débrouille )

Quand la Belgique a assoupli les conditions d’accès à son territoire pour les couples transfrontaliers non-mariés, ils étaient nombreux à espérer enfin revoir leur conjoint.e.s alors que la pandémie leur avait imposé une séparation aussi longue qu’incertaine. Mais pour certains, cette généreuse mesure s’est changée en traquenard administratif, et leur a coûté très cher, en temps, en stress, et en argent sonnant et trébuchant.

Florent vient du Hainaut, Nastia est moscovite. Et leur histoire a véritablement commencé comme une comédie romantique : ils se sont rencontrés durant la Coupe du Monde de football 2018, en Russie, alors que Florent, journaliste, était parti couvrir l’épopée des Diables dans les pas d’Eduard Streltsov. Et si la folle aventure de notre équipe s’est écourtée face à la France, les deux jeunes gens ont décidé de poursuivre la leur, malgré les 2.500 km qui les séparent.

JPEG - 51.9 ko
La Belgique a annulé le visa Schengen
de Nastia, pourtant en règle.
© Matthias Bertrand

Quand le Covid-19 s’est abattu sur le monde avec sa suite de restrictions aux déplacements et de fermetures de frontières, ils se sont retrouvés confrontés à la seule véritable crise qu’a connu leur couple. « J’étais censé prendre l’avion le 16 mars, soit la veille de la fermeture des frontières de l’Union Européenne », se remémore Florent. « Si je quittais l’espace Schengen, je n’avais aucune idée de comment revenir. On ne savait rien sur la validité des visas, on était complètement laissé dans l’ignorance ! Je n’ai pas osé prendre le risque. » Une annulation d’autant plus amère que côté russe, les visas ont finalement été prolongés pour éviter aux touristes de se retrouver coincés. Ce premier voyage annulé, les amoureux se retrouvent à observer l’évolution de la situation mondiale, chacun de leur côté. En mai, ils doivent annuler une seconde occasion de se retrouver, à Malte cette fois. Les mois passent, et l’été s’annonce très long.

Ce n’est qu’en septembre dernier qu’une opportunité s’est enfin ouverte : la Belgique a fini par s’aligner sur la majorité des pays européens, et a assoupli les conditions imposées aux couples transfrontaliers non-mariés pour se retrouver sur son territoire, ce genre de voyage pouvant être considéré comme essentiel. Il fallait bien sûr toujours respecter les règles de quarantaine et de distanciation sociale, tout en pouvant apporter des preuves d’au moins six mois de vie commune ou d’un an de relation, ou encore que le couple a conçu un enfant ensemble. De quoi offrir une bouffée d’oxygène à beaucoup de concernés. Sauf que ces mesures moins strictes, que l’État Belge présentait comme une marque de générosité, se sont plutôt muées en une labyrinthique série d’épreuves administratives pour certains couples, qui ont du investir bien plus de temps et d’argent qu’ils ne l’imaginaient pour avoir une chance d’enfin se retrouver.

Pour Sophie et Andres, cette annonce tenait du plus grand des soulagements. Les jeunes gens se son rencontrés au Costa Rica, alors que Sophie était en voyage d’étude. Quand elle rentre en Belgique, en janvier 2020, c’est tout naturellement que son compagnon et elle décident que celui-ci orientera ses propres études vers notre Royaume. « Andres devait arriver la veille du confinement pour commencer son cursus » se rappelle Sophie, un peu amère. « C’était déjà une très grosse désillusion. Et puis, pendant six mois on n’a vraiment eu aucune information officielle sur ce qu’il nous était possible. On se tenait informé sur la plateforme en ligne Love is not tourism : apparemment moi je pouvais partir, mais lui ne pouvait pas entrer en Belgique. On a été uns des derniers pays européens à prendre enfin position sur la situation des couples internationaux. » Mais pour cela, il faut constituer un dossier et, quand ils se sont rencontrés, Sophie et Andres n’imaginaient certainement pas devoir prouver plus d’un an de relation au Costa Rica ! « C’était assez intrusif : on a fouillé nos fichiers Drive pour trouver la moindre photo qui nous montrait ensemble » énumère la jeune femme, « on a retrouvé nos stories ensemble, même des conversations par messages qui prouvaient qu’on s’était trouvé au même endroit au même moment. Au Costa Rica pas de problème, il ne fallait pas se mettre en quarantaine avant le départ, c’était bien moins strict, mais pour la Belgique ça coinçait : on a constitué un dossier en béton, qu’on a rapidement envoyé à l’ambassade belge au Panama, qui prend aussi en charge les pays voisins, mais il nous a bien fallu une cinquantaine de mails pour être certains que notre dossier était complet. Tout le monde n’avait pas l’air d’être d’accord sur les règles en vigueur. En une semaine nous avions l’autorisation, mais ça a été un peu chaotique. »

Sauf que quand Andres se présente à l’embarquement, la compagnie Iberia lui refuse l’embarquement. Le motif avancé : il n’a pas d’autorisation pour rejoindre le territoire espagnol, alors que son vol prévoit une escale à Madrid ! Celle-ci ne dure pourtant qu’une heure, ce qui signifie qu’il ne quitterait même pas l’avion. On rétorque au jeune homme, estomaqué, qu’il aurait du réserver un vol direct vers la Belgique, ce qui n’existe tout simplement pas. L’ambassade belge a bien mis en place un numéro d’urgence en cas d’imprévu de ce genre ; mais la personne qui décroche ne semble pas vouloir donner raison à Andres, et lui répond qu’elle ne peut rien faire pour l’aider « On a vraiment eu l’impression qu’on nous prenait pour des cons » siffle sa compagne. « On nous avait pourtant bien assurés que cette escale ne posait pas de problème, qu’il ne fallait une autorisation qu’à partir de 24 heures dans le pays ! J’ai posté notre histoire sur Love is not Tourism, et apparemment il y a eu d’autres refus similaires avec Iberia. Personne ne pouvait nous expliquer ce comportement. Et pas de remboursement possible, au motif qu’il ne se serait pas présenté à l’embarquement. 800€ de perdus, parce que ce soir-là on a eu affaire à quelqu’un d’incompétent à l’ambassade. »

Car il n’y a aucune logique derrière le refus d’embarquer asséné au pauvre jeune homme costaricain. L’ambassade belge le lui confirme en quelques échanges de mails, et une employée de l’administration promet même de se charger personnellement de la permanence téléphonique le soir du prochain vol possible vers la Belgique via l’Allemagne, avec la Lufthansa cette fois. Andres est arrivé à bon port, mais cette histoire laisse un goût amer au couple : « On peut remercier la dernière personne qui s’est occupée de notre cas, mais au début on a eu l’impression que notre amour n’était pas perçu comme une nécessité par l’État belge. En tout, on a payé trois vols à 800€ chacun. On a pensé à passer par un pays tiers, mais ça semblait risqué, et ça restait un budget, et puis on voulait du plus long terme : Andres a démissionné de son poste pour reprendre des études en Belgique. »

Retour dans l’Ancien Monde : passer par un pays tiers, Florent et Nastia assument l’avoir fait. Ils se sont retrouvés en Turquie pour quelques jours de d’août 2020. Une aventure pas totalement légale, mais d’une facilité déconcertante. « Il n’y avait pas de liaison directe entre la Turquie et la Belgique, mais il m’a suffit de prendre l’avion à Düsseldorf » sourit le jeune belge. « Je n’avais pas peur du virus, mais plutôt de me voir refuser l’embarquement. Ils s’en foutaient ! J’étais juste un Belge de plus, et on s’est retrouvé dans un hôtel remplit de couples dans la même situation que la nôtre, dont d’ailleurs beaucoup de Russes. C’était un soulagement, mais on ne pouvait pas faire ça tous les trois mois. »

Dès que c’est possible, Nastia et Florent aussi se lancent donc aussi dans les démarches qui doivent permettre à la Moscovite de séjourner en Belgique. Objectif : se retrouver pour son anniversaire, le 10 décembre, et pour les fêtes de fin d’année. Mais pour eux, les contacts avec l’administration vont prendre un visage véritablement kafkaïen. Nastia possédait déjà un visa Schengen, octroyé par l’Italie et lui permettant de circuler à loisir parmi tous les pays membres jusqu’en 2021. La Belgique le lui a annulé, au motif que seul un document provenant d’une administration belge pouvait être pris en compte pour une demande de séjour en temps de Covid. « Un petit détail qui était précisé dans la version anglaise des règles sur le site de la diplomatie belge, mais pas en français » souligne-t-elle. « Et quand bien même : je me retrouve avec un cachet « annulé » sur un document qui me permettait de traverser l’Europe, et qui m’avait quand même coûté 80€ ! Je dois bien sûr payer ce fameux visa belge. » Et ce n’est que le début de ses démêlées administratives : « Je devais d’abord envoyer ma demande au Visa Center de Moscou, qui allait ensuite la transmettre à l’ambassade pour validation. Mais les deux bureaux n’ont pas les mêmes horaires de travail ! J’ai soumis ma demande le jeudi 5 novembre, mais l’ambassade est fermée le vendredi. Les Belges la reçoivent donc le lundi 9, et l’examinent le lendemain. » Déjà cinq jours de perdus.

En Belgique, Florent aussi se retrouve confronté aux affres de l’administration : lui doit prouver qu’ils dispose bien du logement et des revenus nécessaires pour accueillir décemment sa compagne. « Je devais fournir le fameux document Annexe 3 Bis d’engagement de prise en charge, bon d’accord, mais il fallait obligatoirement que ce soit l’original qui figure dans le dossier de Nastia, et non une copie. La poste belge n’a déjà pas très bonne réputation, et son équivalent russe non plus. Le recommandé s’est perdu pendant 15 jours... Entretemps j’ai demandé une seconde fois le document pour l’envoyer par Fedex avec réception en 24h, et ça m’a coûté 55€ pour un simple courrier. Toutes ces conneries c’est un énorme stress supplémentaire, tu réagis à l’instinct et tu ne réfléchis plus ! Et puis financièrement , c’est vite l’effet boule de neige : 50€ par-ci, 50€ par-là... »

Tous ces contretemps ont bien failli coûté son billet d’avion à Nastia, si ce n’était un ultime coup de chance : Aeroflot a changé l’horaire de son vol, et le règlement de la compagnie russe autorise dans ce cas les voyageurs à reporter gratuitement leur embarquement si la nouvelle heure prévue ne leur convient pas. Un détail qui tombe juste à temps pour enfin obtenir son visa – alors qu’elle en possédait déjà l’équivalent, rappelons-le - et, surtout, son autorisation du service des étrangers. La demoiselle russe a enfin pu embarquer pour la Belgique dans les temps. Avec quand même un dernier rebondissement dans ce parcours kafkaïen : une fois arrivée à Zaventem, elle a encore du prouver sa relation avec Florent pour pouvoir quitter la zone de transit. Que ce serait-il passé si elle n’avait pas eu tout le dossier sur son smartphone ? Elle préfère ne pas y penser.

Les différents Services Publics Fédéraux n’ont pas fait suite à nos questions, tant sur ces situations particulières que sur le fonctionnement des autorisations à entrer sur le territoire ; de source sûre, les SPF Santé publique, Mobilité, et Affaires étrangères se sont renvoyés nos mails pendant plusieurs semaines, comme on se renverrait la balle. Tout au plus ce dernier service fédéral nous a répondu qu’il n’y avait pas de durée moyenne à l’examen des dossiers de ressortissants étrangers, car chaque situation spécifique demande des vérifications précises dont dépend le délai pour que la demande soit ou non validée. Bien sûr, on ne peut balayer que la masse de travail a dû être importante dans certaines ambassades belges, qui n’étaient pas forcément préparées à cette nouvelle tâche. Et les personnes qui se sont confiées à nous ne peuvent que témoigner pour leur propre expérience. Il n’empêche que, si Andres et Nastia ont fini par arriver à bon port en Belgique, combien de couples n’ont pas pu se réunir, perdus chacun de leur côté dans ce dédale administratif et financier ? Les messages de détresse qui apparaissent régulièrement sur Love is not tourism en donnent une idée.

Partager :