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Confinés & musclés : quand le coronavirus nous fait lever du canapé

5 août 2020
par  Laura Swysen
( Presse écrite , Le virus du sport )

Pour pallier l’ennui du confinnement, pour retrouver un mode de vie plus sain ou par crainte de prendre 15 kilos, nombreux sont les Belges qui ont mis à profit ce temps libre pour dépoussiérer leurs affaires de sport.

Plus de soirées entre ami(e)s, plus de brunchs, plus de barbecues, plus de cinéma et encore moins de sorties familiales à Pairi Daiza : qui aurait pu croire que l’année 2020 se montrerait si avare en divertissement ? Nous privant de tous nos loisirs habituels – à l’exception de la divine trinité canapé, pop-corn & Netflix – le coronavirus nous a plongés dans un ennui mortel, une routine boulot-dodo où même les réunions Zoom paraissent excitantes. Pour pallier l’ennui, pour retrouver un mode de vie plus sain ou par crainte de prendre 15 kilos, nombreux sont les Belges qui ont mis à profit ce temps libre pour dépoussiérer leurs affaires de sport. Ainsi, les citoyens n’ont pas seulement pris d’assaut les supermarchés en vue de faire une réserve de denrées alimentaires et de papier toilette digne d’un complexe hôtelier de 350 chambres, ils se sont également rués sur les vélos d’appartement et les tapis de course. Cet engouement soudain pour le sport à domicile se mesure également sur les réseaux sociaux : on ne compte plus les challenges et programmes sportifs qui ont défilé sur Facebook en ces 8 semaines de confinement. Cours de yoga, séances de Zumba ou entraînements HIIT (des entraînements fractionnés de haute intensité), jamais les chaînes Youtube consacrées au sport n’ont autant eu la cote. Parmi ces « stars du confinement » qui ont explosé les vues, on retrouve des Youtubeurs sportifs comme le collectif PopSugar, Lucile Woodward ou encore Chloe Ting. Cette dernière, dont la chaîne comptabilise plus de 12 millions d’abonnés, a fait grimper le compteur de certaines de ses vidéos à plus de 200 millions de vues... Si ces coachs sportifs ont toujours connu un franc succès auprès des Millennials, le confinement a participé à accroître et à renforcer leur communauté. Motivés par les stupéfiantes photos ‘avant-après’ relayées sur les réseaux sociaux, de nombreux Belges se sont lancés dans ces programmes intensifs alors qu’ils ne pratiquaient, parfois, aucune activité physique. Du canapé au tapis de fitness, deux nouvelles accros au sport nous racontent leur quotidien d’athlète en herbe.

Johanna, 32 ans

« J’ai toujours été en guerre contre mon corps. Depuis mon plus jeune âge, je dois faire scrupuleusement attention pour ne pas prendre de poids. Chaque jour est un combat et le moindre écart se reflète sur la balance. À mes 30 ans j’ai enfin trouvé un équilibre. Pour conserver ma ligne, il suffit de multiplier quelques gestes au quotidien. Je prends toujours les escaliers, je descends du métro deux arrêts plus tôt et je fais quelques exercices de gainage tous les jours. Bien entendu, je veille également à manger un maximum de légumes et je m’autorise des écarts uniquement pendant le week-end. Tous ces petits gestes me permettent de stabiliser mon poids. Quand ils ont annoncé le confinement en mars dernier j’ai été bouleversée à l’instar de nombreux Belges. Comme tout le monde, je redoutais de ne plus voir ma famille, mais je paniquais aussi à l’idée de grossir. Cela peut paraître ridicule, mais pour une personne qui souffre de problèmes de poids depuis son plus jeune âge, l’idée de ne pas avoir le contrôle sur son corps est terrifiante. Comment allais-je faire pour ne pas prendre 10 kilos sans mes précieux mécanismes » ?

"J’ai commencé à devenir vraiment accro. Après chaque séance, je pensais déjà à la suivante."

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© Unsplash

Après quelques jours de confinement, j’ai pris conscience du temps que je gagnais en télé-travaillant. Si auparavant j’avais du mal à faire du sport à cause de mes horaires, ici je n’avais plus aucune excuse. Zumba, pilates, cours d’abdos-fessiers... YouTube regorge de leçons données par de chouettes professeurs de sport. Moi qui ne pratiquais aucune activité physique en dehors de la marche, je me suis retrouvée à faire entre 7 et 10 heures de sport par semaine ! Bien entendu, j’étais à l’écoute de mon corps et j’adaptais mes séances en fonction de ma forme. Je veillais à faire au minimum 45 minutes de cardio auxquelles j’ajoutais deux voire trois vidéos de renforcement musculaire. J’alternais les exercices afin de travailler chaque muscle. J’ai commencé à devenir vraiment accro. Après chaque séance, je pensais déjà à la suivante. Ces entraînements m’ont permis de canaliser le stress lié au confinement tout en améliorant la qualité de mon sommeil. En 3 mois, j’ai perdu 2 kilos. J’aurais pu faire mieux s’il n’y avait pas eu quelques craquages culinaires - que voulez-vous il fallait bien soutenir les restaurateurs du quartier (rires). Au-delà de l’aspect physique, j’ai compris tout l’enjeu de pratiquer régulièrement une activité sportive. Mieux vaut tard que jamais ! Avec la reprise, il fut difficile de conserver une telle routine. Ce qui m’a particulièrement contrariée, mais j’ai retrouvé un rythme qui me satisfait pleinement : je pratique entre 3 et 4 heures de sport par semaine et je ne me suis jamais sentie aussi bien ! »

Samira, 21 ans

« Nombreuses sont les personnes qui pensent que la jeune génération passe son temps à regarder des émissions un peu ‘bêbêtes’ sur Internet. Pourtant les réseaux sociaux peuvent être une excellente source d’information, à condition de savoir où cliquer. C’est grâce à Youtube, en voguant de vidéo en vidéo, que j’ai eu envie de me mettre au sport. Avant le confinement, je faisais de temps à autre du vélo d’appartement, sans plus. Avec l’arrivée du covid, exit les sorties entre copines et les soirées universitaires. C’était le bon moment pour retrouver un mode de vie plus sain ! J’ai commencé à suivre plusieurs chaînes Youtube consacrées au sport. J’ai écouté attentivement les conseils diététiques de Justine Gallice, j’ai suivi les séances vitaminées de Lucile Woodward et j’ai transpiré à grosses gouttes devant les cours d’aérobic ultra intensifs d’Eva Fitness. J’ai également commencé à suivre plusieurs comptes de coachs sportifs sur Instagram. Comment ne pas être gonflée à bloc quand on voit les avant-après de ceux qui ont suivi les programmes de Kayla Itsines ou Sonia Tlev (NDLR : deux coachs mondialement connues pour leur programme sportif, le Bikini Body Guide et le Top Body Challenge) ? De plus, de véritables communautés se créent autour de ces super nanas. En dessous de leurs vidéos ou de leurs publications Instagram, des tas de gens parlent de leur transformation et encouragent les nouveaux. C’est un sentiment très fort de se sentir aussi entourée, de savoir que d’autres personnes ont fixé les mêmes objectifs.

"Ce programme ultra intense m’a fait découvrir des muscles dont j’ignorais l’existence ! Les premiers jours, j’avais les jambes qui tremblaient et mes abdos me faisaient souffrir le martyre."

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J’ai aussi motivé des copines à m’accompagner, l’idéal pour la flemmarde que je suis ! Ensemble, on a suivi le programme de 3 mois de Kayla Itsines associé à 2 heures de cardio par semaine. Ce programme ultra intense m’a fait découvrir des muscles dont j’ignorais l’existence ! Les premiers jours, j’avais les jambes qui tremblaient et mes abdos me faisaient souffrir le martyre. J’ai voulu abandonner, surtout lorsque l’une de mes copines s’est blessée au genou. Il faut dire que ce genre de programme n’est pas accessible à tous et requiert une bonne condition physique ainsi que des articulations en béton. J’ai finalement tenu bon. À la levée du confinement, on s’est rassemblée dans un parc bruxellois pour effectuer nos dernières séances, quel bonheur de se retrouver et d’atteindre ensemble nos objectifs. Quelle fierté de se dire qu’on a été jusqu’au bout de ce programme sans vaciller. Je ne pense pas le recommencer de sitôt mais ce challenge m’a servi de déclic. À la rentrée on a déjà prévu de s’inscrire aux activités sportives de notre université et, en attendant, on continue à s’entraîner au moins deux heures par semaine. Au-delà de la transformation physique – je peux enfin me vanter d’avoir des abdos dessinés – j’ai ressenti de véritables changements sur mon mental. Le fait d’avoir été au bout de ce défi a décuplé ma confiance en moi. Je constate aussi que je suis plus concentrée et plus déterminée, un sentiment de bien-être que je compte bien conserver même après la fin de la pandémie ! »

De bienfaiteur à bourreau

Moins de stress, une meilleure qualité de sommeil, une diminution de la pression artérielle ou encore une réduction des maux de dos : les bienfaits du sport sont nombreux et ne se limitent pas à l’entretien de notre silhouette. Mieux encore, pratiquer régulièrement une activité physique permet d’éloigner plusieurs maladies comme le diabète, les troubles cardio-vasculaires, certains cancers ou encore Alzheimer. Mais ces bienfaits s’amenuisent en cas de pratique trop intensive. « Ne pas faire de sport ou faire trop de sport est mauvais pour la santé, il faut trouver un équilibre adapté à vos besoins », explique le docteur Aurélien Claes, un médecin généraliste spécialisé en médecine sportive qui travaille à la clinique du sport de Namur. « Bien entendu, c’est une excellente chose de bouger et j’encourage tous les programmes qui motivent les gens à pratiquer une activité sportive. Cependant faites bien attention au type de programme que vous trouvez sur les réseaux sociaux car n’importe qui peut se proclamer ‘coach sportif’ sur Facebook. Afin d’éviter les blessures, soyez à l’écoute de votre corps et allez-y progressivement ». Le spécialiste alerte également les citoyens quant aux dangers des challenges qui sont fréquemment relayés sur les réseaux sociaux. « J’ai vu des challenges qui poussaient les gens à courir entre 60 et 100 km par semaine... C’est très bien à condition d’être déjà habitué à parcourir de telles distances. Il faut des mois voire des années d’entraînement pour concourir à un marathon ou un ‘iron man’. On ne devient pas un sportif de haut niveau du jour au lendemain. Ce genre de challenge peut se terminer par une blessure grave voire, dans certains cas exceptionnels, par une hospitalisation », avertit l’expert.

« En fin de confinement, dans les cabinets de traumatologie du sport, on a vu certaines pathologies spécifiques liées aux pratiques sportives du confinement (vélo, course à pied et fitness à domicile) » Nicolas Vandenbalck

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Au-delà des blessures, la pratique intensive d’un sport non adapté à notre métabolisme peut avoir de graves répercussions sur notre santé physique et mentale. « Un surmenage peut entrainer des blessures musculo-squelettiques mais aussi des problèmes plus profonds comme des troubles cardio-vasculaires, rénaux ou même un ‘syndrome de surmenage’ qui s’accompagne d’une dépression (troubles émotionnels), d’une grosse fatigue et de problèmes immunitaires », analyse Nicolas Vandenbalck, médecin et traumatologue du sport. Le spécialiste a constaté, à la levée du lockdown, une hausse de certaines pathologies liées à la pratique du sport à domicile. « Lors du confinement, beaucoup de gens se sont mis à faire du sport de façon régulière (3 à 4 x/ semaine) alors qu’ils ne pratiquaient aucun sport avant. Ils se sont lancées dans ces activités de manière intensive, avec parfois un matériel non adapté (chaussures inadéquates, selle de vélo mal réglée), sans échauffement ou stretching et sans aucune connaissance d’hydratation ou d’alimentation sportive. En fin de confinement, dans les cabinets de traumatologie du sport, on a vu certaines pathologies spécifiques liées aux pratiques sportives du confinement (vélo, course à pied et fitness à domicile). Le vélo et la course à pied ont fait exploser les problèmes micro-traumatiques. Le genou est le membre le plus fréquemment touché (tendinopathie de la bandelette ilio-tibiale, des syndromes rotuliens), mais on a également diagnostiqué des tendinopathies achilléennes ou des fessiers. Les sports à domicile comme le fitness ou le CrossFit ont engendré davantage de problèmes dorso-lombaires ou d’épaules, à cause des exercices mal réalisés », analyse l’expert.

Le sport à domicile, une fausse bonne idée ?

Mais n’utilisez pas cette excuse de blessure potentielle pour zapper votre séance quotidienne de sport à la maison – on vous voit venir. Les deux médecins spécialistes en traumatologie du sport s’accordent pour dire que le sport à domicile et le jogging représentent une excellente solution pour renouer avec une activité physique, à condition de s’y prendre correctement. « Toute activité sportive est bonne pour la santé, le tout est d’y aller de manière progressive. Si vous avez l’habitude de courir 30 kilomètres par semaine, ne passez pas à 90 km sans vous entraîner, on recommande généralement une progression de 10% par semaine. Soyez également attentif à ce que vous dit votre corps, si un exercice vous semble trop compliqué, ne vous forcez pas », encourage Aurélien Claes. « Le fitness à domicile est une façon facile, rapide et pratique de faire du sport. Mais il faut connaître son niveau et le niveau du coach qui donne le cours. Car devant son écran, sans contrôle visuel, le coach ne peut pas vérifier les erreurs posturales et c’est alors que les blessures surviennent. Les gainages réalisés dans une mauvaise posture avec des coudes ou les fesses mal placés auront l’effet inverse de celui qui est recherché et provoqueront des douleurs lombaires. », avertit le docteur Vandenbalck.

Si le confinement a contrarié bon nombre d’entre nous, force est de reconnaître qu’il nous a permis d’ouvrir les yeux sur notre quotidien et notre tendance à l’oisiveté. Comme Samira et Johanna, de nombreux Belges ont renoué avec les joies du sport pendant le confinement. Des retrouvailles, parfois trop intenses, qui ont occasionné de douloureuses courbatures voire, dans les pires des cas, des blessures. Pour une fois, on ose donc comparer le sport au chocolat : il est excellent d’en consommer régulièrement, à condition d’éviter l’indigestion. Ou, pour conclure d’une manière plus ‘sportive’, reprenons la célèbre citation du Baron Pierre de Coubertin : toujours plus vite, plus haut, plus fort.... mais sans oublier d’écouter son corps !

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