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Charleroi, un coupe-gorge ? Quand la réputation d’une ville dépasse la réalité

28 juillet 2020
par  Jean van Kasteel
( Presse écrite , Tout... sauf le virus ! )

Le sentiment d’insécurité et la sécurité réelle ne sont peut-être pas du tout liés. Plongée dans les chiffres et statistiques.

Tous ceux qui y habitent le savent : Charleroi a une réputation de ville sale, dangereuse et mal famée. Le Pays Noir a ce quelque chose de profondément ancré dans l’esprit des gens qui le rend détestable : que ce soit dans la vie de tous les jours ("Je viens de Charleroi" - "Désolé"), dans la presse internationale (la "pire ville du monde", d’après un journal hollandais) ou encore dans les commentaires qui abreuvent les réseaux sociaux ("On s’y fait facilement agresser", "Moi j’ai fui le centre-ville et je n’y retournerai jamais", etc.). Il ne faut jamais chercher bien loin pour trouver quelque chose de négatif sur la sécurité à Charleroi. Même les rapports officiels de la police fédérale montrent ce mal-être : dans le moniteur de sécurité 2018, on peut voir que 21 % des gens s’y sentent "toujours" ou "souvent" en insécurité. C’est le double de Liège et Mons, même le triple de Namur.

Vous avez dit dangereux ?

Et pourtant… si on puise dans les statistiques de criminalité les chiffres des délits dits "agressifs" (vol à la tire, vol avec violence, vol à main armée, arrachage de sac et dégradation de voiture), le tableau devient tout autre. Avec 1 273 faits rapportés l’année passée pour 202 376 habitants et 50 243 travailleurs venus de l’extérieur, le ratio du "nombre de délits" pour le "total de gens qui passent en ville" - ce qu’on pourrait appeler le "risque de se faire agresser", est de 0.5 % à Charleroi. Il est de 0.5 % à Mons également, 0.3 % à Namur et… 1.1 % à Liège !

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Charleroi vue des toits, 2019
© Jean van Kasteel

On peut aller plus loin : dès qu’un Carolo fait visiter "sa" ville à des amis ou connaissances, leur avis change : l’impressionnante démesure des bâtiments de l’UT, les tons clairs des Quais de Sambre, l’hypercentre coloré de graffitis d’artistes du monde entier, les arbres centenaires du parc, les grandes places Verte et de la Digue… même le Safari Urbain organisé par Charleroi Adventures parvient, en promettant de faire le tour des pires endroits de Charleroi, à charmer les touristes.

Une réputation d’enfant terrible

Mais alors, d’où vient cette réputation d‘enfant terrible de la Wallonie ? Elle ne sort pas de nulle part : ancien fleuron industriel qui s’est décrépi avec la mondialisation et la dépréciation du charbon, Charleroi a souffert d’une criminalité inédite avant les années 2000, lui valant d’ailleurs le surnom de Chicago-sur-Sambre. Puis des années de sous-investissements dans les infrastructures et la propreté ont d’ailleurs mené à l’éclatement des "affaires" en 2005, quand politiques et dirigeants ont été traînés devant la justice pour corruption et détournements de fonds. Sans parler, bien sûr, de la cicatrice laissée par Marc Dutroux, dit "le monstre". Plus actuel, il y a aussi le caractère socio-démographique de Charleroi : une population plutôt pauvre (quasi 30 % de revenus de moins que la moyenne belge) et peu diplômée (16 % ont fini des études supérieures, alors que la moyenne wallonne est de 26 %), et tous les problèmes qui peuvent en découler - drogues, mendicité, grande précarité, etc. Comme partout.

Pourtant à Charleroi, on n’est donc pas nécessairement plus ou moins en sécurité qu’ailleurs. Les chiffres l’attestent. Mais on s’y sent en insécurité, c’est tout aussi clair : est-ce une fatalité ? Charleroi ne sera-t-elle jamais rien d’autre ? Eh bien pas vraiment. Déjà, le moniteur de sécurité note une amélioration du sentiment d’insécurité perçu : on est passé de 28 à 21 % de gens qui se considèrent "toujours" ou "souvent" en insécurité à Charleroi de 2008 à 2018. Et à l’inverse, de 35 % des interrogés qui se disaient "rarement" ou "jamais" en insécurité, le chiffre est monté à 45 % en dix ans.

Mais ça bouge… et dans le bon sens !

Une étude de l’UCAC/UCM en 2012 montrait que le public déplorait le manque de propreté et le problème de stationnement : or, depuis, le parking payant a permis de libérer des places de stationnement et le transfert du nettoyage des rues à l’intercommunale Tibi a montré des améliorations incontestables sur la propreté. Un investissement massif dans la réfection des voiries et trottoirs de la métropole, couplé à des aides européennes pour rénover ville basse et ville haute, a un impact indéniable sur la qualité de l’environnement urbain. Mieux : un pôle universitaire regroupant ULB, Umons et HEPH verra le jour d’ici 2023. Le CampusUCharleroi pourra rectifier une "anomalie" européenne : Charleroi est en effet une des seules grandes villes qui ne disposait pas d’une université.

Tout cela bouge. Il faut maintenant que ces changements, initiés il y a une quinzaine d’années, trouvent leur chemin jusque dans l’esprit des gens. Là, il y a encore visiblement du boulot.

Sources :
- Population au 1er janvier 2020, SPF Intérieur
- Statistiques de Criminalité en 2019, police fédérale
- Mobilité des travailleurs Charleroi et Mons, Hainaut développement 2020
- Mobilité des travailleurs Liège et Namur, Fiches environnementales du SPW 2010
- Moniteur de sécurité 2018 (Charleroi, Namur, Mons, Liège), police fédérale
- Administration de la Ville de Charleroi

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