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Bouchées doubles

18 mai 2021
par  Kathleen Wuyard
( Presse écrite , Le virus des héros comme des gens ordinaires )

Rudement affecté par les mesures sanitaires de ces derniers mois, l’Horeca belge entrevoit enfin la lumière au fond du tunnel. Une réouverture pour laquelle les restaurateurs se sont battus sans relâche, emmenés par une bande de valeureux liégeois.

« Les Liégeois ont été plus que tous les ans domptés néanmoins ils ont toujours relevé leurs crestes”. Cette citation du chancelier de France Michel de Lhospital gravée à même la pierre de la Cité ardente a beau dater du XVIe siècle, elle a rarement peut-être été plus d’actualité que ces derniers mois. D’autant qu’immortalisée à l’ombre de la Cité administrative, elle a vue sur le joyeux brouhaha de restaurants, cafés et bars qui entourent la place. Un point de rencontre d’ordinaire en ébullition, certains établissements restant ouverts jusqu’à l’aube, sur lequel s’est toutefois abattue une chape de plomb ces derniers mois. Pandémie oblige, Liège a vu ses cafetiers et restaurateurs contraints de respecter les mesures sanitaires et de fermer boutique pour une période d’abord déterminée puis rapidement indéfinie. Une situation contre laquelle ces derniers ont décidé de lutter une fois la première stupéfaction passée. Si ces derniers mois, c’est le secteur Horeca du pays tout entier qui a fait entendre ses revendications, l’impulsion est venue de la Cité ardente, où une bande de valeureux a allumé la mèche et entretenu le feu de la révolte contre des mesures jugées injustes par un secteur laissé sans perspectives d’avenir. Parmi les fers de lance du mouvement, Valerie Migliore, patronne du Caffe Internazionale avec son mari et pasionaria de l’Horeca.

Qui ne tente rien n’a rien

Ainsi qu’elle l’explique, pour elle, l’électrochoc n’a pas tant été la première fermeture abrupte du secteur en mars dernier qu’un drame tout personnel qu’elle a traversé à la même période. Alors que tout le pays se barricade pour tenter d’endiguer la propagation d’un virus venu de Chine, le papa de Valérie perd son combat contre une longue maladie. S’ensuit alors une situation ubuesque pour cette maman de deux enfants : il lui est momentanément interdit d’enterrer son père. « En avril 2020, il n’était pas permis d’acheter des concessions et je trouvais ça absolument inadmissible de laisser nos morts dans des hangars » se souvient la jeune femme. « Tout le monde me disait que c’était comme ça, qu’il fallait accepter la situation, mais moi j’ai refusé de me résigner et j’ai enchaîné courriers et coups de fils à l’Echevinat de la population pour leur expliquer à quel point la situation était inhumaine. Finalement, mes efforts ont porté leurs fruits et j’ai réalisé que si je m’étais tue, je n’aurais rien obtenu, donc j’ai cherché parmi mes amis restaurateurs celles et ceux qui seraient prêts à dénoncer la situation de l’Horeca avec moi. On râlait tous sur les réseaux sociaux, mais personne ne faisait rien alors qu’il fallait absolument faire part de la réalité du terrain ». Epaulés par le couple à l’origine du Moment ainsi que par le patron d’un autre établissement liégeois, La Cafétaria, Chris et Valérie s’en vont en guerre.

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© DR

Soulèvement principautaire

Dans leur viseur ? Ni le virus ni les mesures initiales, accueillies dans un premier temps avec soulagement par Valérie, bien au fait de la gravité de la situation grâce à sa famille en Italie, mais bien ce qu’ils perçoivent comme un manque total de dialogue et de soutien. Une première action, « SOS Assiette Vide », rassemble virtuellement des chefs venus des quatre coins de la Belgique, désireux de communiquer leur besoin de retravailler, par passion pour leur métier mais aussi parce que les indemnités proposées sont largement insuffisantes pour subsister. Le Collectif Wallonie Horeca était né, même si, ainsi que le souligne Valérie dans un sourire, « on avait choisi ce nom pour n’exclure personne, mais on était uniquement à Liège à l’origine et on ne s’attendait pas à ce que l’action ait un tel retentissement national ». Depuis, le collectif a multiplié les actions médiatiques et essaimé kes initiatives, des mouvements similaires ayant vu le jour dans le reste de la Wallonie et à Bruxelles. Lorsqu’on la rencontre, la date fatidique du 8 mai approche à grand pas et Valérie appréhende cette délivrance. Si les irréductibles liégeois avaient d’abord annoncé une réouverture pirate des terrasses le 1er mai, menacés d’amendes et de suppression des indemnités, ils ont finalement décidé d’attendre une semaine supplémentaire. Avec, à la clé, une réouverture en demi-teinte : « rouvrir les terrasses uniquement va potentiellement faire plus de mal que bien. Certains restaurateurs n’en ont pas, d’autres vont devoir engranger des investissements pour en (ré)aménager une alors que les caisses sont vides et puis être dépendants tout de même de la météo et des annulations s’il fait froid ou qu’il pleut. Le secteur n’aura aucune vraie perspective de reprise tant qu’on ne récupérera pas nos intérieurs ».

Valeureux Liégeois

À quelques rues de là, au Volga, bar à cocktails incontournable de la Cité ardente, Laurent Hanquet, le maître des lieux, ne tarit pas d’éloges sur Valérie et sa formidable énergie. « J’ai été impressionné, elle a été une parfaite représentante du secteur et s’est beaucoup investie » salue-t-il. Le premier mai ? « On voulait d’abord une date fixée dans le marbre et pas encore une perspective incertaine. Et des compensations pouvant permettre à nos entreprises de tenir. Le but n’était pas de se rebeller, nous sommes des commerçants, employeurs et entrepreneurs, pas des révoltés anarchistes” sourit-il. Et d’ajouter que « sans l’action en vue d’ouvrir le premier mai et la médiatisation qu’elle a suscité, on n’en serait encore nulle part ». Même si la victoire a un goût doux amer, Laurent espérant pour sa part que le couvre-feu sera bientôt levé dans l’Horeca. En attendant, ce russophile rentré en urgence d’une immersion linguistique chez les soviets lors du premier lockdown salue la légendaire fronde liégeoise. Ou plutôt, les circonstances propres à la Cité ardente qui font que c’est naturellement que le soulèvement des restaurateurs belges y est né. « À Liège, on subit bien d’autres choses quand on est commerçant : les travaux compliqués du tram, les problèmes de toxicomanie et de vente de drogue, le manque de propreté générale,.. des circonstances qui font que le centre-ville à commencé à se vider de ses commerces et passants bien avant la crise sanitaire, donc au bout d’un moment on est à bout et on explose. Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas du sang soi disant chaud des Liégeois mais de circonstances bien précises”. Avant d’ajouter qu’il y a “malgré tout un esprit de cohésion et de proximité et ce, même avec les autorités. Et c’est une force particulière à Liège”. Valeureux Liégeois, fidèles à leurs voix, volez en terrasse.

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