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Aux quatre coins du monde, le personnel humanitaire face à un double confinement

7 juillet 2020
par  Cécile Danjou
( Presse écrite , Le virus de la solidarité )

Personnel rapatrié, projets à l’arrêt, matériel manquant, … Le secteur de l’humanitaire a vu sa force de frappe diminuer durant le confinement. Pour ceux qui sont restés sur le terrain, il a fallu composer avec les restrictions locales et une contrainte inédite : l’arrêt des vols internationaux.

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Rentrer… ou rester ? Au milieu du mois de mars, alors que le virus progresse à vitesse grand V et que les pays se confinent les uns après les autres, le personnel humanitaire expatrié fait face à un dilemme : rejoindre l’Europe ou continuer le travail sur le terrain, sans certitude de pouvoir quitter le pays en cas de souci. Certains n’ont pas eu choix, leur mission a été stoppée pour des raisons sanitaires, de sécurité ou par manque de personnel. Sophie Leonard, elle, n’a même pas envisagé la question. « On m’a informé des possibilités de vols de rapatriement vers la Belgique. Mais j’ai la responsabilité des urgences ici donc je serais la dernière personne à quitter le bureau », sourit la représentante adjointe de l’UNICEF en Côte d’Ivoire. Même raisonnement pour Youri Francx, Bruxellois en poste en Ouganda depuis deux ans et demi pour Handicap International. « La question s’est posée quand les frontières commençaient à se fermer. Mais je fais partie du personnel dit « essentiel », ça signifie que je suis censé être le dernier à quitter le territoire. La Belgique commençait à entrer dans son pic, avec ma femme, on s’est donc dit que ce n’était pas le meilleur moment pour rentrer ». Chez Médecins du Monde Belgique, la moitié du staff international a pris un vol de retour. « Surtout des gens en famille », commente Stéphane Heymans, le directeur des opérations. L’autre moitié est restée sur le terrain et elle y est encore aujourd’hui : la plupart des frontières sont toujours fermées et les vols internationaux quasi inexistants. « J’ai déjà vécu dans le passé des petites montées de violence durant lesquelles on devait rester chez soi. Mais c’était court et en général, l’aéroport était la première chose qui rouvrait. Ici, c’est long et l’aéroport est probablement la dernière chose qui va réouvrir », anticipe Youri Francx. La situation, inédite, a des conséquences pour toutes les ONG et agences internationales. « Normalement, quand il y a un accident, une attaque, nous avons l’obligation d’évacuer les gens. Mais là, les agences spécialisées là-dedans font face à l’impossibilité de faire atterrir des avions. Nous avons dû informer notre personnel que les conditions de contrat que nous avons avec eux ne peuvent plus être honorées comme d’habitude », explique Marc Biot, directeur des opérations chez Médecins sans Frontières (MSF) Belgique, qui travaille toutefois beaucoup avec du staff local.

Un recalibrage du travail

Un confinement sur d’autres continents, un confinement aussi à l’intérieur des pays. L’épidémie a poussé beaucoup de professionnels de l’urgence à réorienter leurs missions. Chez MSF, sur les 70 projets menés, une dizaine ont été mis sur pause, une quinzaine se sont concentrés sur les cas de coronavirus modérés et sévères. Dans le bureau Unicef de Côte d’Ivoire, priorité a été donnée à la réponse Covid. Avec à la clé, quelques heures supplémentaires, désormais en télétravail. « Au début, on n’avait plus de week-end, plus de vie ! On était complètement paniqué car on craignait que l’arrivée du virus ne soit une catastrophe totale dans le pays », décrit Sophie Leonard. Peu d’arrêts, mais des adaptations aussi chez Médecins du Monde. « Nous avons modifié certaines de nos activités. En Bosnie par exemple, dans les camps de migrants, nous avons mis en place des consultations de santé mentale à distance. Ça a permis de réduire les risques pour tout le monde », illustre Stéphane Heymans. Youri Francx comptabilise aussi quelques nuits blanches passées à transformer son service en outil de réponse à la crise. Et le lockdown en Europe n’a pas facilité les choses. « Nos collègues étaient en télétravail, ils devaient s’occuper de leurs enfants. Nos demandes de soutien technique pour la réadaptation de nos projets, avec des enfants sourds et aveugles par exemple, ont parfois trouvé des réponses tardives. Mais voilà, on s’est organisé en fonction ». Enfin, sur certains projets, le manque de médicaments, en rupture de stock ou à des prix devenus faramineux, est venu compliquer encore la donne. « On a eu des difficultés sur des campagnes de vaccinations de rougeole qui ont été impactées au Congo parce qu’il n’y avait pas de matériel ou la volonté de ne pas concentrer la population », note de son côté Marc Biot.

Les équipes peu relayées

Aujourd’hui, plus la crise dure et plus les organisations humanitaires sont confrontées à un nouveau problème : le renouvellement du personnel. Chez MSF, chaque mois, plus de cent personnes partent sur le terrain. Depuis début mars, l’ONG n’a pu envoyer que la moitié. « Avec le manque d’avions, en Afrique principalement, nous avons actuellement de grosses difficultés à déstresser nos équipes sur place qui sont sur leurs genoux », reconnaît Marc Biot. Même constat chez Médecins du Monde. « Aujourd’hui, on a des gens qui sont en fin de contrat et on n’arrive pas à les faire revenir ni à amener leur remplaçant sur place. Ils sont donc obligés de continuer à travailler ». Et quand des départs sont tout de même organisés, les trajets sont… laborieux ! « Un jeune pédiatre va bientôt partir pour l’Afrique centrale. Il atterrit d’abord à Addis-Abeba en Ethiopie, prend un vol de l’ONU vers Accra au Ghana. Puis il aura son vol pour Bangui. Et là, il doit rester trois semaines en quarantaine », raconte Marc Biot. Des ponts humanitaires commencent à s’organiser. Trois vols ont ainsi été programmés au départ de Bruxelles par l’Union européenne pour Kinshasa et Goma en RDC. A leur bord : 45 tonnes de matériel et des travailleurs humanitaires. Des travailleurs qui peuvent aussi compter sur les vols de l’ONU. Mais jusqu’à quand ? L’organisation a averti que ses vols humanitaires pourraient être massivement interrompus en juillet, par manque de fonds.

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