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Afrique : Covid 19, la frayeur injustifiée

27 octobre 2020
par  Claude Muyls
( Presse écrite , Demain, après le virus... )

Tous les indicateurs de départ du Coronavirus pointaient la faiblesse africaine pour lutter contre la pandémie. Alors que l’Amérique du Nord puis celle du Sud voient l’échelle de leurs décès augmenter de façon exponentielle, le continent noir vit une situation totalement différente. Qu’en est-il vraiment à ce jour ?

La grande peur

Est-ce la réaction toujours prudente des Blancs à l’égard des Africains ou une méconnaissance des faits ? Le berceau de l’homme devient paria au niveau du Covid 19. Regardons les chiffres de plus près : l’Europe entière compte 208.500 décès dont 41.486 pour le Royaume uni, 35.472 pour l’Italie, 30.956 pour la France. Au niveau mondial, les pays les plus touchés sont les Etats-Unis (181.173 décès), le Brésil (119.504), le Mexique (63.146) et l’Inde en pleine pandémie avec 62.550 morts. A contrario, à ce jour, l’Afrique, continent de plus d’1,3 milliard d’habitants, se distancie beaucoup avec 29.093 morts dont la grande majorité en Afrique du Sud (13.743) et en Egypte (5.362) qui a recensé le premier cas du continent en février 2020. (Source : European Centre for Disease Prevention and Control 29.08.20)

La vision africaine et l’OMS

Comme dit si bien Michel Onfray : « L’Afrique face à cet événement pourrait en bien des cas nous donner une leçon ». Pour la grande majorité de la population africaine, le virus touche principalement une élite socio économique brillante, voyageant beaucoup. En découle une crainte face au continent blanc ; pour la grande majorité noire, le Covid 19 provient essentiellement de l’Europe et de l’Amérique. Tous les pays noirs sont contaminés depuis février. Au début de la pandémie, l’OMS qui fête cette année ses 70 ans, a appelé l’Afrique à se réveiller et à se préparer au pire. A la mi-août, l’organisme faisait le point après 6 mois. Facteur important, alors que le virus progresse à un rythme accéléré dans une grande partie du monde, l’évolution sur le continent africain est très différente. Il n’y a pas d’augmentation exponentielle mais seulement une progression sans pic précis. La transmission qui a surtout touché les capitales se déplace vers les zones urbaines peuplées pour toucher in fine les zones rurales.

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Dr Matshidiso Moeti.

« En Afrique, freiner le Covid 19 est comme un marathon et non un sprint », a déclaré la Dr Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique. « Nous observons de multiples flambées locales, chacune ayant ses propres schémas et pics d’infection. C’est en renforçant la réponse au niveau communautaire que nous gagnerons cette course. La réponse au Covid 19 doit être intégrée à la structure même de chaque district de santé. Non seulement nous devons suivre l’évolution des tendances, mais aussi anticiper, prévoir et agir plus rapidement pour éviter des conséquences potentiellement désastreuses. Les zones de forte transmission ainsi que les localités où les infections sont relativement moins nombreuses méritent toutes deux l’attention. En bref, nous devons être forts sur tous les fronts ». Au cours des 6 derniers mois, les pays africains ont fait beaucoup de progrès en imposant des mesures de confinement strictes et des mesures de prévention et de diagnostic. 14 pays au moins réalisent plus de 100 tests par 10.000 habitants. La production d’oxygène a considérablement augmenté ainsi que les concentrateurs d’oxygène. L’OMS pour sa part a fourni un important soutien technique avec la livraison de plus de 2,1 millions de kits de dépistage et la formation de 100.000 professionnels de santé.

L’impact économique

Et pourtant… C’est tout au Sud que le Covid 19 s’est malheureusement épanoui. Rappelons-nous le nombre de victimes du virus en Afrique du Sud (13.743). Comment expliquer ce chiffre qui dépasse à lui seul la moitié des décès africains ? Ce pays plus avancé économiquement avoue la promiscuité de son peuple dans les Township principalement à Johannesbourg et à Cape Town. Les médecins n’hésitent pas à qualifier les points sanitaires d’hôpitaux de l’horreur avec 24.000 soignants infectés. Les économistes admettent que pour se relever de la récession actuelle, il lui faudra au bas mot cinq ans. Pire, le responsable des urgences de l’OMS, Michael Ryan, déclare que ce qui se passe dans ce grand pays « pourrait malheureusement devenir un précurseur et un avertisseur pour ce qui se passe dans le reste de l’Afrique. Ce pays vit un événement très grave ; un véritable marqueur de ce à quoi le continent pourrait être confronté si une action urgente n’est pas prise pour fournir un soutien supplémentaire ». Ici, le ministre des ressources minérales et de l’énergie Gwede Mantashe et son épouse sont tous les deux avérés positifs et vivent dans le plus grand des confinements.

L’autre point rouge se niche dans le Maghreb. N’est-il pas étonnant que ce soit l’Algérie à forte population blanche qui confirme 1.475 disparus ? Confinement dans le pays, couvre-feu de 20h à 5h. Le président Abdelmadijd Tebboune suit de très près l’évolution de la maladie dont les points forts se situent notamment dans des villes comme Alger et Oran. Masques obligatoires… Son voisin, le Maroc, voit son nombre de décès porté à 1.011. Restrictions fermes et volontaires de la part du gouvernement surtout sur les trois cités les plus importantes dont Casablanca, Marrakech et Tanger, véritables pôles économico touristiques. La culture sombre, l’événementiel aussi, le sport en plus… Un peu comme le paysage belge. Des villes en état de siège. Il est assez amusant d’apprendre que l’une des destinations les plus appréciées des Belges, la Tunisie ne compte que 73 décès. La Lybie vit dans l’incertitude depuis le renversement du régime de Mouammar Kadhafi en 2011. Le chef de la rébellion, Mahmoud Jibril a succombé au Covid 19 à l’âge de 66 ans en Egypte. Son pays affiche des résultats excellents, 226 morts pour une zone terriblement bouleversée politiquement et administrativement.

Grand pays de l’Afrique du Nord, l’Egypte vit, je le rappelle, le premier cas de Covid 19. Immense, il doit pleurer 5.342 morts malgré les mesures strictes avec couvre-feu depuis des mois. Actuellement, les vols internationaux ont repris, les musées et les sites archéologiques réouvrent. Pays modèle d’une Afrique démocratique, le Sénégal dirigé par le président Macky Sall, utilise toutes les techniques du monde notamment l’hydroxychloroquine dans ses traitements pour arrêter l’expansion de l’épidémie sur son territoire. Sa statistique actuelle, 279 morts. Le pays fut secoué par l’annonce du premier mort, l’ex entraîneur de football et un symbole pour la nation, Pape Diouf qui avait été infecté à Nice avant son retour au pays. Après des mesures particulièrement strictes puis un déconfinement lent, le pays ferme à nouveau ses frontières. Le principal cluster : Dakar, ville phare de la communauté africaine. A l’est, le Kenya est le plus impacté, essentiellement à Nairobi et sur la côte, 567 morts pour ce pays très touristique.

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Diminuer la part de contaminations dans les aéroports avec des tests systématiques à l’arrivée.
Erreur de cible

La perception du Covid 19 se veut très différente en Occident et en Afrique. En discutant avec de nombreux témoins sénégalais, ceux-ci nous expliquent que leur grande préoccupation ne se trouve pas dans cette épidémie mais bien dans la famine. Un serveur horeca déclare : « seul l’Ebola fut considéré par nous comme grave, dangereux et effrayant ». L’ONU adhère à leurs propos. Après l’Asie, il considère le continent noir comme le plus misérable, affamé, désorganisé. Ajouter à cela, la sécheresse, le chômage par manque cruel de touristes, le climat perturbé et vous obtenez les paramètres de cette grave alerte. En réponse à cette situation, l’ONU alerte l’Afrique des dangers qu’elle court. Le Covid ne fait qu’aggraver la crise alimentaire. Le nombre de décès par faim risque de doubler prochainement. Dans le monde entier, 21.000 personnes en meurent par jour. Des propos largement repris par l’un des plus grands économistes Arif Husain. Ces pays africains voient leur sécurité alimentaire largement impactée par le Covid 19. Avec le jeu des couleurs, des pays passent du vert au rouge en 24 heures. Les touristes insécurisés préfèrent délaisser cette sublime région du monde qui compte déjà 425 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Au moins 50 millions de personnes pourraient en plus être touchées par cette crise. Une des craintes futures ne sera pas la transmission du Covid 19 de l’Afrique vers l’Europe mais la crise migratoire et économique qui va pousser des populations affamées du Sud vers le Nord.

L’Afrique constituée de 54 pays, affiche un kaléidoscope de fonctionnements économiques, sanitaires et touristiques. Résultat de cette réflexion : considérons chaque pays comme un cas différent.

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