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A l’ère du covid, les terrasses en mode flon-flon

3 novembre 2021
par  Mathieu Colinet
( Le virus de la débrouille )

Les terrasses éphémères se sont imposées dans le paysage urbain depuis un an et demi. Et pourraient être pérennisées à certains endroits

A quoi ressembleront les villes demain ? La question est au cœur de beaucoup de réflexions depuis une vingtaine d’années. La crise sanitaire lui a donné une acuité particulière. En effet, la nécessité des gestes barrières et l’imposition de confinements successifs ont placé les habitants des villes devant les limites de celles-ci. Autrement dit, devant ce qu’elles n’étaient pas et feraient bien d’être à l’avenir dans la perspective d’un futur urbain plus harmonieux.
Les élus à la tête des villes vont-ils demain décider de multiplier les espaces verts ? Vont-ils revoir les normes d’occupation de l’habitat ? Vont-ils penser l’emplacement des espaces et des équipements publics sur l’unité territoriale des quartiers, comme le suggère le nouveau concept de la « ville du quart d’heure ». Vont-ils ancrer dans ces derniers, de façon inédite, l’économie locale, la seule susceptible d’assurer une circularité monétaire à l’échelle de la ville ? Difficile à dire. Mais toutes ces « pistes » sont en tout cas au cœur des réflexions. Celles qui seront retenues imprimeront de leurs orientations les projets urbains de demain.
Mais les villes n’ont peut-être pas attendu ces projets pour déjà évoluer. Et il se pourrait bien que le fruit de cette transformation soit déjà sous nos yeux. J’ai nommé les « terrasses éphémères », ces espaces apparus au printemps 2020 devant les cafés et les restaurants comme solution temporaire ou mieux transitoire et qui semblent être appelés à se pérenniser.
Par « terrasse éphémère », on entend le plus souvent un espace ouvert délimité par des planches ou des palettes, assis parfois sur un plancher mais pas toujours, surplombé le plus souvent de parasols ou de tonnelles. L’urgence de l’apparition de ces terrasses éphémères a justifié leur caractère improvisé et la variété des matériaux utilisés. Les plus larges débordent sur les emplacements de parking situés en face des cafés et des restaurants. Les plus étroites se limitent à quelques mètres carrés de trottoirs sagement investis.
Quand elles sont apparues en mai-juin 2020, ces terrasses visaient un objectif précis : anticiper la réouverture des cafés et des restaurants longtemps confinés. En effet, à l’époque, les chiffres de contamination au coronavirus avaient commencé à baisser mais pas encore assez pour imaginer que les cafés et les restaurants puissent reprendre leurs activités à l’intérieur. En revanche, à l’extérieur, la voie semblait dégagée. Restait à innover et à faire naitre des terrasses où souvent rien de semblable n’avait jamais existé.
Un matériau en particulier a séduit les apprentis bricoleurs de terrasses éphémères : la palette, qui a la faveur de la crise sanitaire a gagné une place importante dans le paysage des villes. Inventée aux Etats-Unis dans les années 1940, elle s’est au cours des quarante dernières années imposée au cœur des flux logistiques mondiaux comme un objet de la mondialisation. A différentes occasions, son usage a pu être détourné de sa fonction initiale. Mais jamais encore avant la pandémie de covid et le confinement, ce ne fut le cas de façon si massive.
Un « indicateur » a permis de s’en rendre compte à l’époque : la flambée des prix des palettes explicable sur base d’une hausse de la demande. Si celle-ci a faibli depuis lors, elle reste tout de même à un niveau supérieur à celui qui était le sien avant 2020.
Sur un plan esthétique, les terrasses éphémères faites de palettes et de parasols ont donné aux villes une touche particulière. Certains citadins s’en sont réjoui estimant que leur aspect mâtinait celui de quartiers à l’esthétique trop austère et se mariait bien finalement à l’idée légère du déconfinement. D’autres, au contraire, se sont plaints de voir des zones urbaines revêtir le « costume » improvisé du camp scout à longueur de semaines.
Mais les contempteurs des terrasses éphémères sont à chercher également parmi les automobilistes. Une partie de ceux-ci estiment ainsi que les terrasses éphémères qui se sont développées sur les places de stationnement ont fait fondre dans certaines rues les possibilités de se garer quand celles-ci n’étaient déjà pas infinies.
Ces critiques pourraient toutefois ne pas peser très lourd. En effet, gérants de l’horeca comme clients semblent avoir pris gout à ces terrasses et expriment désormais le souhait qu’elles soient pérennisées. « Ce provisoire-là pourrait très bien survivre à la fin de la crise sanitaire », pronostique le sociologue Eric Corin. « En tout cas, il sera difficile une fois que tout cela sera derrière nous de faire comme si cela n’avait jamais existé. »

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