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A l’UZ Brussel, on soigne le personnel soignant avec des chats

19 octobre 2020
par  Gauvain Pinto Ferreira Dos Santos
( Presse écrite , Demain, après le virus... )

La Villa Samson est un espace unique en Belgique. C’est à la fois un centre de zoothérapie et une zone de rencontre entre patients humains et animaux. Pendant le confinement, le lieu a servi de sas de décompression pour le personnel soignant en proie à des burnouts.

Lorsque la crise du Covid-19 a frappé la Belgique au mois de mars, il s’est rapidement avéré que le personnel soignant allait vivre des moments difficiles. Dès les premiers jours où il a été annoncé que le coronavirus se répandait dans le royaume, la direction d’UZ Brussels a réfléchi à une façon de créer un endroit sécurisé pour le personnel et les aides-soignants au sein de l’hôpital universitaire néerlandophone. Une solution a été proposée par la psychologue Karen Pien.

« Dès l’arrivée du Covid, j’ai téléphoné à Marc [Noppen, le directeur de l’UZ Brussels] pour lui dire que l’on devait mettre en place une zone apaisée dans l’hôpital. La Villa Samson était disponible puisque plus aucun patient n’y venait. L’endroit était libre. J’ai donc parlé avec Vicky [de Baere, coordinatrice de la Villa Samson] et elle a dit oui. Toutes les personnes qui travaillaient dans l’hôpital, mais aussi celles qui travaillaient dans la logistique ou qui nettoyaient les chambres… s’ils n’arrivaient plus à travailler, ils pouvaient venir. »

La Villa Samson est un espace unique en Belgique et qui trouve peu d’équivalents dans le monde. Ici, on soigne avec l’aide des animaux. Cet espace situé à côté de l’UZ Brussels sert de lieu de rencontre entre les patients et leurs animaux de compagnie qui n’ont pas droit d’entrée dans l’établissement hospitalier. Le projet est entièrement soutenu par les donateurs. Il ne reçoit aucune subvention des pouvoirs publics, ni même de l’hôpital UZ Brussels. Trois chats Maine Coon et un Berger y résident pour les sessions de zoothérapie. « Il ressort d’études scientifiques que le contact avec les animaux a non seulement un effet bénéfique sur le bien-être mental des gens, mais aussi sur leur processus de guérison », peut-on lire sur le site de la Villa Samson.

A partir du 17 mars, après que la Première Ministre ait annoncé un confinement généralisé pour la Belgique, les hôpitaux ont mis l’essentiel de leurs forces dans la lutte contre le coronavirus. La Villa Samson, qui accueillait quotidiennement différents patients, s’est retrouvée soudainement vide. Pour Marc Noppen, transformer cet endroit en un refuge pour le personnel a été une évidence. « On a ouvert la maison à des collaborateurs. Des psychologues et des psychothérapeutes sont venus ici. Ils ont attendu les gens. Il n’y avait pas de rendez-vous. Ils pouvaient venir quand ils voulaient. »

Chaque matin, lors de la communication informatisée adressée à son personnel, la direction rappelait qu’un lieu de décompression avait été mis à leur disposition. Face aux risques de burnout, lorsque la pression était trop grande, lorsque le stress les submergeaient, les membres du personnel hospitalier pouvaient marcher jusqu’à la Villa Samson pour “vider leur sac”.

« C’est magnifique... parce qu’à la Villa Samson, on soigne normalement le bien-être émotionnel et psychologique des patients. Et pendant le Covid, on a fait exactement la même chose, mais pour le personnel », raconte Vicky De Baere. « Des membres de tout le personnel sont venus. Ceux qui s’occupaient du nettoyage et du service logistique sont venus souvent. Parce qu’ils devaient nettoyer dans les salles où s’étaient trouvées des personnes atteintes du Covid. Pour eux, c’était extrêmement stressant et angoissant. Mais on a aussi reçu des membres du management ou des infirmiers. »

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Si Karen Pien a eu l’idée de créer ce “safe-space”, c’est notamment à cause d’une expérience traumatisante qu’elle a vécue en Thaïlande. En janvier 2005, cette médecin légiste doit identifier pour B-Fast les victimes du terrible tsunami qui a fait plus de 200.000 morts sur les plages de Phuket. Cet épisode la marquera à vie.

« Cela m’a pris plus de 10 ans pour me débarrasser de mon post-traumatic stress disorder (PTSD). Au début, je ne comprenais pas pourquoi je ne pouvais plus travailler. Parfois j’étais vraiment fatiguée, et d’autres fois j’étais vraiment en colère contre tout le monde. J’avais peur de la mer, je ne pouvais plus y retourner. Dans des moments pareils, on ne sait plus rien faire à cause du stress. Grâce au bodywork, j’ai pu après 10 ans me débarrasser de ce PTSD. Et ici, à la Villa Samson, on le fait directement. »

Dans la Villa des chats, le personnel soignant extériorisait sa peur grâce à une combinaison de plusieurs éléments : une écoute attentive des psychothérapeutes, un travail sur le corps (« bodywork ») et la présence réconfortante des animaux. « Les gens venaient ici avec le sentiment que tout allait bien, ils ne racontaient pas grand-chose mais je sentais qu’ils avaient beaucoup à dire. On travaillait sur l’énergie dans leur corps. Et les trois chats venaient toujours autour d’eux. Après 10-15 minutes, très souvent, ces patients commençaient à pleurer. »

Les problèmes que rencontraient les infirmiers ou les équipes de nettoyage portaient sur différents plans. Il y avait certes les stress liés à la cohabitation avec le Covid, aux pénuries de matériel de protection, au manque de masques mais il remontait également des soucis d’ordre plus personnel, comme le fait de laisser les enfants seuls à la maison. « Ils rentraient ici vraiment stressés », poursuit Pien Karen. « Ils ne riaient plus. Leurs yeux étaient complètement ouverts. Ils étaient extrêmement tendus. On voyait qu’ils avaient besoin de dire quelque chose. »

La thérapie consistait alors à leur donner du temps. Une séance en compagnie d’un psychologue s’étendait entre 1h30 et 2 heures. « Il fallait leur laisser l’occasion de prendre du temps pour eux-mêmes. On leur donnait de l’espace pour eux. Certains craquaient en une minute, d’autres après une demi-heure ou une heure. Mais tout le monde finissait par pleurer ici. », observe la psychothérapeute.

En quittant la Villa Samson, les patients étaient plus détendus. « Personne ne savait ce qu’il s’était passé. Ils me regardaient avec des yeux qui me disaient : « Mais qu’as tu fais ? ». Et je répondais que je n’avais rien fait », clot Pien Karen. « Moi, j’étais seulement là à parler avec eux et faire des exercices. »

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