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A Bruxelles, trois métiers face à la crise sanitaire

12 juillet 2021
par  Agnès Zamboni
( Presse écrite , Le virus de la débrouille )

Comment s’adapter et se réinventer lorsque tout s’arrête ? Trois expériences de professionnels qui ont réussi à pérenniser leur activité respective, mise en danger par la crise de la COVID.

Ariane Spica, styliste, crée une ligne de prêt-à-porter haut de gamme

Que s’est-il passé pour vous en mars 2020 ?

Créatrice de robes de mariées sur mesure depuis 20 ans sous la marque « Un monde de créateur » puis « My Dress by Ariane », avec une boutique située chaussée de Charleroi, après la naissance de mes enfants, j’ai décidé de continuer mon activité à domicile qui était très florissante. A l’annonce du premier confinement, les reports de cérémonies se sont succédés. Je me suis informée auprès d’un ami médecin qui m’a confirmé que la situation sanitaire serait difficile à gérer, pendant plusieurs années, dans le secteur de l’évènementiel. Je réalisais mes modèles avec la collaboration d’une couturière, j’ai tout arrêté.

Comment avez-vous réagi devant l’urgence ?

J’ai commencé à fabriquer des masques avec une pochette en wax. Avec ce tissu africain qui parlait à mes origines, j’ai eu l’idée de créer une première collection de vêtements féminins. Née en mai 2020, elle présentait une nouvelle idée de détournement, élégant et moderne, de cet imprimé typique, choisi dans des motifs graphiques pour le faire sortir de son carcan ethnique et exotique. Puis j’ai été contacté par le concept store Balthasar place du Grand Sablon qui m’a offert l’opportunité de présenter ma première ligne pendant 15 jours. J’ai aussi exposé, dans ce lieu, la seconde collection pour l’automne-hiver 20/21, à base de capes et de jupes en laine et cachemire.

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Robe Livy avec manches bouffantes. Création Ariane Spica pour Mixage.
© Mixage

Et maintenant comment envisagez-vous l’avenir ?

Jusqu’à fin juin, ma 3ème collection qui revisite la robe chemise dans tous ses états est présentée à la Exclusive Pop and Shops, 50, avenue Louise. Mes cinq modèles se portent décontractés, la journée, ou plus sophistiqués, avec une ceinture et des chaussures à talon, pour une soirée. Ensuite, il sera temps de créer la 4ème collection… Je ne pense pas que mon activité de création de robes de mariées reprenne avant 2023. Les grandes cérémonies repoussées seront finalement annulées. Certaines jeunes femmes pour lesquelles j’avais commencé à réaliser une tenue pour le jour J sont enceintes, ont accouché… Mon label Mixage, qui n’est pas encore rentable, a pourtant un vrai avenir devant lui. Mon éthique n’a pas changé, réaliser des vêtements de qualité avec de belles matières et finitions. Mes vêtements sont aussi impeccables sur l’endroit comme sur l’envers. Les coutures du tissu sont biaisées sur l’envers avec des ourlets rabattus et surpiqués, à l’ancienne. Dans un esprit de slow fashion et de collection capsule, je ne fais pas de stock. Chaque pièce vendue est simplement re-fabriquée par ma couturière. En sortant de ma zone de confort, c’est aussi un pari fou que je me suis lancée. (www.mixage.be).

Antonio Nardone, galeriste, vend des produits d’épicerie fine mais pas que !

Que s’est-il passé pour vous en mars 2020 ?

Dans le domaine culturel, on a rencontré deux poids et deux mesures. La culture subventionnée ? On a entendu qu’elle pendant la crise. Peu de leurs acteurs se sont adaptés, car ils n’avaient vraisemblablement pas faim ! De l’autre côté, les galeries et marchands d’art, dont je fais partie, et les artistes, soit indépendants soit sans statut, n’ont pas bénéficié du droit passerelle. Les galeries, considérées comme des magasins, ont droit à une prime, s’ils décident de fermer boutique. Quant aux artistes, ils n’ont pas d’aide car le confinement ne les empêche pas de travailler… par contre ils ne peuvent pas exposer et donc vendre leurs œuvres.

Comment avez-vous réagi devant l’urgence ?

La fermeture des galeries est incompréhensive mais au lieu de râler, j’ai préféré agir, bouger, activer mes méninges, parler avec les artistes et leur tendre la main pour leur redonner de l’espoir. Organisateur, depuis 1993, de plus de 40 expositions pour les Musées royaux d’Art et d’Histoire, je prépare un super événement à Venise qui réunira 25 artistes dont dix faisant partie de ma galerie sur le thème des Cadavres Exquis, jeu surréaliste des années 1930. Avec des œuvres d’Anish Kapoor, Wim Delvoye ou Pierre Alechinsky, nous allons investir la Chiesetta della Misericordia du 24 juin au 16 juillet 2021. Je me suis occupé de tout, de contacter les participants, de trouver les financements avec une campagne de crowdfunding. Auparavant, à Noël, j’ai édité des cartes de vœux avec des détails de tableaux à colorier. J’en ai vendu plusieurs milliers. Lorsque j’ai appris que le salon de l’automobile était annulé, j’ai loué 60 panneaux d’affichage pour exposer des œuvres. Et j’ai aussi changé mon statut au moniteur pour pouvoir vendre des produits d’épicerie fine… Depuis peu, ils sont proposés, au nombre de 6, dans un sac en kraft peint d’une œuvre originale, au prix de 90 €. J’en ai déjà vendu 80 exemplaires. Ses sacs que les amateurs conservent pour les faire encadrer sont en train de devenir collector tandis que les bénéfices de cette opération compose une cagnotte pour offrir du matériel de Beaux-Arts aux artistes.

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Bags Art, en papier kraft, animés d’œuvres originales et à garnir de 6 produits italiens d’épicerie fine.
© Galerie Nardone

Et maintenant comment envisagez-vous l’avenir ?

Je continue de pratiquer mon métier qui consiste à aider les artistes en leur offrant une meilleure visibilité, un tremplin pour être notamment repéré par des galeries plus importantes. En tant que découvreur de talents, je choisis d’exposer de jeunes artistes émergeants. J’ai déjà ré-ouvert trois fois ma galerie depuis le début de la crise. A la galerie de Bruxelles, l’exposition en cours visible jusqu’au 29 mai 2021 présente une rétrospective de Cecilia Shishan, artiste formée à La Cambre, qui dévoile une vision personnelle de l’enfance. Elle s’accompagne d’une exposition de photos réalisées au scanner par ma fille Mathilde Nardone , jeune artiste de 27 ans, qui a déjà exposé à l’hôpital Molière. Certains de ces clichés seront présentés, hors murs et en plein air, sur une bâche, dans le cadre d’Art on the wall, (à Uccle, tout près de Pharmacie Servais, Chaussée de Waterloo dans le quartier du Vivier d’Oie). Mon travail est toujours le même, accompagner les artistes qui m’apportent de l’émotion et explorent des nouvelles pistes. Ma seconde galerie, située à La Louvière, ouverte juste avant le confinement, doit aussi trouver ses marques (www.galerienardone.be).

Madeleine de Vergnies, gourmande professionnelle, concocte des dîners fins pour deux.

Que s’est-il passé pour vous en mars 2020 ?

Passionnée de cuisine depuis plus de 20 ans, j’organisais alors, à mon domicile, des tables d’hôtes et dîners thématiques pour une clientèle privée, des particuliers et des entreprises. Mon carnet de commandes était plein et j’avais aussi de nombreux projets en tête, comme toujours. Du jour au lendemain, tout s’est annulé et j’ai compris qu’il fallait « fermer le rideau ». Sans perspective, j’ai pensé au poème Ulysses d’Alfred Tenysson.

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Jeu de couleurs avec un bavarois à l’oseille, un coulis de poivrons rouges grillés, fleurs de millepertuis et de gentiane.
© Madeleine de Vergnies

Comment avez-vous réagi devant l’urgence ?

Dans l’obligation de se retrouver avec soi-même, j’ai pris le chemin de l’introspection et je me suis rapprochée de la nature avec l’envie de créer de nouveaux plats. C’était comme si aimant la musique, je découvrais le solfège. La cuisine est une rigueur qui sauve lorsque tout vous abandonne. La période a été une parenthèse enchantée mais aussi un enfer. A la fois, je l’ai aimé et détesté, surtout lorsque j’ai fait une chute avec pour conséquence une triple fracture au bras. Mais cet accident m’a donné une idée pour une nouvelle formule, « un bras, un plat ». J’ai aussi proposé des cours et ateliers de cuisine avec un historien, des dîners à quatre convives puis enfin à deux, en amoureux. Cette dernière formule a bien fonctionné. Je pouvais ainsi élaborer des plats plus travaillés et avoir un contact plus riche en échanges avec mes hôtes. A chaque étape du confinement, déconfinement, puis reconfinement… j’ai inventé de nouveaux concepts. Et toujours, cette envie d’aller au contact de la nature. Au cœur de la ville, elle surgit de façon ahurissante derrière le béton. Elle n’est jamais vaincue ! Elle est un exemple pour moi. Pas question de céder mais résister même si la période est difficile et inédite.

Et maintenant comment envisagez-vous l’avenir ?

En ce moment, avec la récente réouverture des terrasses, les gens préfèrent dîner à l’extérieur et c’est, pour mon activité, une période de latente. La formule des dîners à deux m’a permis de relancer ma créativité qui s’était un peu perdue avec le temps et les habitudes. Je teste de nouvelles recettes avec des plats plus déco, l’intégration de fleurs et de plantes qui ont des qualités esthétiques, gustatives, nutritionnelles. Dernièrement, pour des invités qui ne souhaitaient pas de viande, j’ai imaginé des nouveaux plats d’inspiration végétale. Et je me suis amusée comme une enfant de l’école primaire à réinventer la focaccia avec un motif floral à base de tomates cerises et d’échalotes… Une évolution est en marche (tél. : 0496 35 90 20).

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